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d’orner sa vie morne d’érudit par la société fréquente, égayante, un peu alarmante et pudiquement voluptueuse de Timarette et Parménis, femmes qui l’enchantaient et entre lesquelles il n’eût pas eu la maladresse de choisir. C’était, M. l’abbé Gilles Ménage, un homme qui avait soin de ses journées et de leur divertissement.

Pour Mme de La Vergne, l’amour de M. Ménage est de tout repos. Mais il a des rivaux, et quelques-uns très dangereux, des gaillards qui ne passent point en poésie leurs velléités entreprenantes et que la candeur des jeunes filles aguiche au lieu de les effaroucher. Mlle de La Vergne vit dans un monde où il y a de la vivacité. Ce n’est pas sa faute, si elle se trouva mêlée à des intrigues ; et c’est assurément son mérite, si elle en tira bien sa renommée : toutefois, elle eut à l’en tirer.

Quel âge avait-elle ? en tout cas, elle était fort jeune… Henri de Sévigné mourut le 4 février 1651. L’aventure que voici se rapporte aux fêtes du carnaval ; et celles-ci commençaient à l’Epiphanie. Mettons que cette aventure soit du mois de janvier 1651 : Mlle de La Vergne a seize ans et demi. Sévigné alors était l’amant de Mme de Goudran. Cette belle eut envie d’éclipser, dans un bal, les rivales de sa beauté. Son amant dut lui procurer des pendants d’oreilles : et, comme il était prodigue, on lui pardonnait de manquer d’argent. Sévigné, qui « n’était pas honnête homme, » emprunta les pendants d’oreilles de Mlle de Chevreuse et dit que c’était pour Mlle de La Vergne : il préservait ainsi la réputation de Mme de Gondran, non celle de Mlle de La Vergne. Et, deux jours après, les matins demandaient à Mlle de La Vergne d’où venait qu’elle eût prêté des bijoux à la belle Lolo. Il fallut que Mlle de La Vergne allât remercier Mlle de Chevreuse. Elle le lit certainement avec autant d’esprit que de complaisance. Mais la voilà tôt informée de galanteries un peu audacieuses : elle a frôlé, innocemment, cette bohème du plaisir ; et elle est avertie de bonne heure.

Elle a pour amie une jeune fille plus avertie encore, Mlle de La Loupe, Catherine-Henriette d’Angennes, qui devint Mme d’Olonne et, sous ce nom, fut célèbre. Mme d’Olonne est l’une des plus folles épouses qui, sous le règne de Louis le Grand, brillèrent dans la chronique du libertinage. Bussy la met au premier chapitre de son Histoire amoureuse en compagnie de Mme de Châtillon, quand il se fait l’historien des plus