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« Je pense que vous m’avez ouï dire autrefois que j’avais aimé Mme de La Fayette en vers et Mme de Sévigné en prose. Mme de La Fayette m’a obligé de mettre cette pensée en vers, quoiqu’elle ne soit pas à son avantage :


De Parménis, de Timarette,
À qui j’ai dit mainte fleurette,
On fait cent jugements divers.
Pour moi, je n’en dis qu’une chose :
J’adorai Timarette en vers
Et j’aimai Parménis en prose.


Vous me direz, s’il vous plaît, à votre loisir, si ce sixain peut faire le voyage de Hollande[1]. » M. Huet accorda son imprimatur. Il suggérait un petit changement pour le dernier vers : « La clausule de l’épigramme sera plus belle de moitié, si vous mettez : Mais j’aimai Parménis en prose. Cela fait une opposition bien significative… » Ménage se rendit au conseil de son ami ; et l’épigramme tourna ainsi plus nettement à l’avantage de Mme de Sévigné, si l’on est tenté de comprendre que l’amour de Ménage pour Timarette n’était qu’une poétique rêverie ; pour Parménis, une réalité. Cependant, M. Huet ne trouve pas que le sixain soit au désavantage de Mme de La Fayette : « Vous donnez à entendre que vous avez davantage aimé Parménis, quoique vous jugeassiez l’autre plus digne d’être aimée, c’est-à-dire que vous aimiez mieux l’une et que vous estimiez davantage l’autre… » Ou, si l’on veut, l’autre lui plaisait davantage : mais, avec l’autre, il avait, en quelque sorte, une tendre habitude. Mme de Sévigné se prêtait plus obligeamment à la passion de M. Ménage. On épiloguerait longtemps là-dessus et l’on y perdrait son temps, M. Ménage n’ayant peut-être pas été lui-même tout à fait sûr de son intention. L’épigramme pouvait, sans offenser personne, être publiée : « outre qu’on ne sait, — ajoutait assez drôlement M. Huet, — qui est Timarette ni qui est Parménis. » Il y a cela encore !

Les envieux se moquaient de M. Ménage, lui conseillaient de laisser la comtesse et marquise : il y perdrait son latin ! Mais lui ne cédait pas aux narquoises remontrances. Il ne perdait pas son latin ; même il ne perdait pas la tête et se félicitait

  1. Correspondance de Huet et de Ménage : Bibliothèque nationale, fonds IV. manuscrits 15 189 et n. a. 1341.