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services, une rente viagère de trois cents livres tournois. Il appartient à la maison du coadjuteur. Il ne s’y plaît pas : il y fréquente peu. Mais, à l’époque où le coadjuteur était bien en cour, la complaisance du coadjuteur a valu à M. l’abbé Ménage le titre de conseiller du Roi et son aumônier, qualités vaines et honorables.

M. Ménage était grand ami de Mme de Sévigné, jusque-là qu’il devint amoureux d’elle ; et elle ne devint pas amoureuse de lui : mais elle eut pour lui beaucoup d’amitié. Il avait l’amitié orageuse ; il était jaloux : il ne tolérait pas que Mme de Sévigné fit de nouveaux amis. Elle en faisait très volontiers, ayant au cœur cette exubérance qu’on remarque dans sa façon d’écrire. Il était alors boudeur ou querelleur : et, boudeur, elle attendait qu’il eût fini ; querelleur, elle le rabrouait. Il ne lui cachait pas son amour. Elle ne l’engageait pas à se taire ; elle ne s’en fâchait pas : elle en riait, dont il enrageait. Un jour, il arrive chez elle dans le moment qu’elle sortait pour une emplette. Elle l’emmène : il semble gêné. Elle le presse de monter en carrosse et, comme il montre de l’embarras, elle voit ce qu’il a et, gaiement brave, assure qu’elle ne craint pas d’être compromise. Il est fort dépilé : le méprise-t-elle au point de croire qu’on ne saurait rien dire de lui et d’elle ? Aussitôt, elle le bouscule : « Mettez-vous, lui dit-elle, mettez-vous dans mon carrosse ; si vous me fâchez, je vous irai voir chez vous !… » Cette anecdote, c’est Bussy qui la raconte dans son Histoire amoureuse des Gaules. Quand parut l’Histoire, M. Ménage entra dans une de ces colères qui, parfois, ne l’inspiraient pas mal et qu’il traduisait en latin : sans tarder, il composa ce poème vengeur : In Bussium Bahutinumi hominum quot sunt, quot fuerunt, quot futuri sunt, maledicenlissimum. Cela suffisait à sa rancune ; et plus tard il tint ce propos, qu’on a recueilli dans les Menagiana : « C’est un bel et bon esprit que M. de Bussy Rabutin. Je ne puis m’empêcher de lui rendre cette justice, quoiqu’il ait lâché de me donner un vilain tour dans son Histoire des Gaules. On ne peut écrire avec plus de feu qu’il a fait dans cette histoire… » M. Ménage s’est vengé ; M. Ménage a pardonné : M. Ménage n’a pas démenti. L’anecdote est vraie. M. Ménage y parait un peu vaniteux ; il n’admet pas qu’un lettré parfait ne tire point à conséquence. Mme de Sévigné avait su le dresser à ses disciplines ; et il ne s’obstinait pas à refuser