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sut ce qu’il devait à son état et, par un scrupule honnête et assez rare, il porta soutane : mais ce fut tout ce qu’il accorda aux règles et coutumes ecclésiastiques. Il était « beau garçon, » dit Tallemant, qui ne le dirait pas, si la vérité ne l’y obligeait : beau garçon, de petite santé. Nanteuil a gravé son portrait : un long visage maigre, une petite moustache noire, les cheveux un peu longs et bien arrangés, les yeux très vifs, très en dehors, une physionomie attentive, gracieuse, narquoise et mélancolique ; et la clarté de l’intelligence répandue joliment sur ce visage. Tallemant, qui doit consentir à ne le trouver pas laid, se rattrape d’ailleurs. Il l’a vu, dans l’alcôve de Mme de Rambouillet, « se nettoyer les dents, par le dedans, avec un mouchoir fort sale, et cela durant toute une visite. » Une autre fois, « il s’est rogné les ongles devant des gens avec lesquels il n’était pas familier. » Petites erreurs, et très fâcheuses, mais enfin qui n’empêchaient pas les meilleures compagnies et les plus délicates de l’accueillir le mieux du monde.

Il vieillit assez tôt. Quand il eut quarante ans, il était un peu cassé. Il se plaignait d’avoir mal aux jambes. Une dame lui répondit : « On ne peut pas être et avoir été. » Une autre dame, à la même doléance, répondit de même. Il rentra chez lui et surprit son petit laquais en train d’écrire : « On m’a placé chez un vieux garçon… » Bref, conclut-il avec un triste sourire, « quoique je n’aie que quarante ans, il faut que je sois vieux, puisque tout le monde le veut. » Pourtant, il n’y a pas si longtemps qu’il était jeune et, avec son bon ami M. Thévenot, dansait au chant des vers d’Anacréon dans le jardin royal des Plantes. « C’est en ce temps-là qu’il fallait me voir ! » réplique-t-il à qui le complimente de garder sa gaieté parmi ses maux.

Tel que le voilà, il fait bonne figure. Il a perdu son père en 1648 et reçu en héritage une terre qu’il a vendue à M. Servien soixante mille livres, pour quoi M. Servien lui sert trois mille francs de rentes. Divers bénéfices, qui sont venus s’ajouter à son doyenné, lui assurent le jour et le lendemain. Il demeure au cloitre Notre-Dame, de compte à demi avec M. Parfait, chanoine de l’église de Paris. Sans grosses dépenses, il vit bien : il a son carrosse, il a ses gens ; il a pour domestique M. Jean Girault, maître ès arts en l’Université d’Angers, et qui fera une carrière dans l’Eglise. Il n’est pas opulent, mais libéral : en 1649, il décerne audit sieur Girault, pour de bons et agréables