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versant à boire à Sa Majesté, elle lui montre une grenouille qu’elle tient dans l’autre main. Le Roi s’écrie : « Ha ! la vilaine ! » et ne dit pas si la vilaine est La Mothe ou la grenouille. Voilà de petits jeux. Les petits jeux du Roi et des filles d’honneur ont plus d’une fois tourné à des galanteries, à des amours. Mais, à l’époque où Mlle de La Vergne fait son entrée à la cour, le Roi n’est point à cet âge des adolescentes poursuites. Il a douze ans. Et Mlle de La Vergue demeura probablement fille d’honneur jusqu’à son mariage : et alors le Roi venait à dix-sept ans. Du moins, elle parait avoir gardé son titre de cour jusqu’à son mariage ; mais, dans les dernières années, elle n’est plus ni à la cour ni à Paris. Au temps de son service, la cour était un endroit sévère. Anne d’Autriche, quoi qu’il en fût de ses amitiés avec Mazarin, montrait de l’austérité. Je ne crois pas que Mlle de La Vergne l’aimât beaucoup. Elle a tracé de sa maîtresse d’autrefois, dans l’Histoire de Madame Henriette, le portrait d’une assez bonne femme, un peu agitée ou, mettons, inquiète du vivant de son mari, désormais calme jusqu’à la nonchalance. On l’avait connue « portée aux affaires : » puis, régente, les affaires l’ennuient. Son ambition, naguère inopportune, tombe dès le moment que l’activité serait son devoir. Elle ne songe qu’à « mener une vie douce ; » et elle s’enfonce dans la dévotion, Elle témoigne « une assez grande indifférence pour toutes choses. » Elle est contente, pourvu que le Roi et Monsieur lui prouvent de la « sujétion : » elle n’est pas capable de prendre aucune autorité sur eux. Elle a de bonnes intentions et, manque d’esprit, commet parfois des fautes « qui ne se peuvent pardonner à une personne de sa vertu et de sa bonté. » Ce n’est pas à dire que Mlle de La Vergne eût de l’antipathie pour la Reine et dût pâtir à lui être attachée. Mais, toute sa vie, et même à l’âge où l’on a de l’indulgence, et sans doute à l’âge où l’on a de l’ignorance, elle gardait, dans l’amitié la plus dévouée, un clair discernement : elle n’eut jamais le don de prêter à son cœur.

Le chevalier de Sévigné, son beau-père, est un singulier personnage et qui alla jusqu’à la sainteté par des chemins fortuits. Il était né en 1607, au château des Rochers : il a donc quarante-trois ans lors de son mariage. Il appartenait à une famille d’anciens ligueurs. C’était un cadet de Bretagne. Son frère aîné, Charles de Sévigné, baron d’Olivet, et qui avait