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Il adorait les mathématiques et leur préférait encore le plaisir. Il écrivait peu et n’imprimait rien : il avait médité sur les vanités de la gloire, sur les règles de la prudence et les conditions du repos. Il se mêla, ainsi que Roberval, Descartes, Mersenne et Carcavi, d’une polémique engagée par Longomontanus et John Pell et relative à la quadrature du cercle : son avis ne fut pas négligé. Il s’occupa de résoudre les équations cubiques, « par le cercle et la parabole, sans les purger du plus haut degré. » Ces études lui amusaient et ne lui alarmaient pas l’intelligence : il leur savait gré d’être difficiles et anodines. Mais, quand on veut l’embarquer à prendre parti dans l’affaire de Galilée, touchant le mouvement de la terre, on l’ennuie, on l’effare ; il se récuse et ne répond qu’en petits vers badins, où il proteste de sa révérence à l’égard des mystères de la nature. Il ne va pas déchiffrer le firmament ! Il se moque d’une science présomptueuse et lui oppose une divinité plus belle et plus sage, l’Ignorance, qui est la sœur de l’Innocence. Cette divinité ne nous trompe jamais. Ce n’est pas elle qui fomente les opinions, l’erreur, l’hérésie et les factions… Laissant donc les hasardeuses rêveries, il conclut d’aller boire et « faire grillade. » au cabaret du Bon Puits.

C’était un fameux drille. Il faisait la débauche à Paris et n’y renonça que pour suivre en Bretagne le comte de Saint-Brisse, cousin germain du duc de Retz. Et, à cette époque, le duc de Retz était à Belle-Isle, où il faisait la débauche avec divers seigneurs et des lettrés tels que Saint-Amant. Les deux cousins durent, en Bretagne, réunir quelquefois leurs gaietés et le mathématicien Le Pailleur au poète des Goinfres. D’ailleurs, le poète des Goinfres est un galant homme, de la meilleure compagnie, grand poète et qui a les plus fines délicatesses de la pensée ; quant à M. Le Pailleur, il suffit que M. Pascal le père lui attribue de la vertu. Ces débauchés, ce sont des épicuriens. Mais l’épicuréisme n’est pas une doctrine méprisable, ni une pratique aisée : Aristippe de Cyrène a ses disciples dans la crapule, en général ; Epicure a les siens parmi les bonnes têtes qui savent administrer leurs plaisirs. Et l’on n’administre pas ses plaisirs beaucoup plus facilement que ses devoirs. M. Le Pailleur est à sa manière un sceptique et, si l’on veut, un libertin : mais avec tant de précautions ! Plus il était jaloux de son indépendance, et plus il avait soin de la rendre digne de son