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à Grivesnes, les troupes de Debeney constituées l’avaient arrêté, il l’avait été pour de si longs jours que nous n’en avons pas vu la fin. Les casques bleus de France avaient surgi, et le flot germanique, une fois de plus contenu, s’était brisé et retombait, étale, au pied de la digue par miracle élevée.

L’effort allemand avait cependant été énorme, sans précédent. Quatre-vingt-neuf divisions avaient été engagées dans la bataille, dont plusieurs y avaient reparu deux et trois fois. C’étaient 1 300 000 Allemands qui s’étaient rués sur un front de 90 kilomètres. Nos forces n’avaient à aucun moment de la bataille atteint le quart de cette formidable masse d’effectifs. Elles lui avaient cependant infligé des perles que les évaluations les plus modérées estimaient a plus de 300 000, et si on avait, au cours de la bataille, perdu trop de terrain, des résultats visés par nos ennemis, qui n’étaient ni la conquête de quelques petites villes, ni même celle d’une province entière, aucun n’était atteint. Ils avaient voulu rompre à leur soudure les armées française et britannique, rejeter à droite nos Alliés, les séparer de nous, les isoler au Nord d’Amiens, peut-être les achever d’un coup de massue. Ils avaient voulu, en investissant et prenant Amiens, saisir le nœud le plus précieux de voies de fer, de terre et d’eau de toute la région au Nord-Est, couper ainsi Paris de ce qui reste de ses provinces du Nord, et la France de l’Angleterre. Eventuellement ils avaient pensé, si l’occasion se montrait favorable, s’ouvrir les portes de l’Ile-de-France et, en vue d’une seconde offensive, les chemins de Paris. Dans les journées de mars et d’avril, ces trois desseins avaient échoué. Avec une rapidité inattendue, due aux combinaisons préalables de nos états-majors et à l’action personnelle-du général en chef Pétain, des soldats français avaient pu, dès le deuxième jour, se jeter dans la bataille, qui s’étaient montrés dignes des soldats de Verdun, c’est-à-dire égaux à ce qu’ils avaient toujours été. L’ennemi le reconnaît. Avec quel souci un soldat allemand écrit : « Nous avons à présent devant nous les Français Ils se défendent comme des insensés. » Grâce à leur héroïque résistance, dirigée de haut avec une inlassable énergie par les grands chefs que nous avons nommés, le triple échec des Allemands avait été, en dix jours, consommé. Humbert avait, appuyé sur Pellé et Robillot, barré la route de Paris, Debeney celle d’Amiens ; et, à travers maintes