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Courtemanche : la 56e progresse, est ramonée, mais sans perdre finalement un pouce du lorrain occupé la veille. Au centre, la poussée ennemie nous fait reculer de quelques cents mètres entre Pierrepont et Gralibus. Mais, le soir, court la consigne : contre-attaquer pour reprendre les points perdus. Et la confiance est générale : puisque l’ennemi n’a pu, — en cette journée redoutable, — enfoncer nos lignes, tout va bien.

Je me rappellerai sans doute toute ma vie le spectacle qu’en ces heures tragiques du vendredi saint, offraient nos états-majors. Depuis des nuits, on n’avait pas dormi. Mais l’espérance grandissait qu’après la route de Paris, celle d’Amiens allait être, en dépit de tous ses efforts, fermée à l’assaillant. Un grand chef qui, à un haut degré, dirigeait la bataille, m’avait dit à midi : « Cette journée est la dernière d’une semaine d’angoisses : si les camions de la…e division sont avant la nuit ce vendredi saint au Sud d’Amiens, tout sera dit : en ce cas, en effet, nous chanterons l’Alléluia le jour de Pâques. » Le jeune chef qui amenait ses divisions était là, frémissant, comme toujours, d’une énergie presque sauvage ; toute sa physionomie respirait la confiance el l’entrain ; ses soldats seraient la puisqu’il fallait qu’ils y fussent. Trois heures après, je roulais vers Amiens, et, à Oury, je dépassais les camions de la division si impatiemment attendue. Nous les annonçâmes dans la ville où, parmi la désolation d’une cité désertée, les derniers habitants suffiraient. Au centre de la ville, l’admirable cathédrale, — fermée, muette, silencieuse, en ce terrible Vendredi saint, — émergeait de ses sacs de terre, comme la borne splendide où se briserait la ruée des Barbares.

Le samedi 30, ce fut un assaut général sur Debency comme sur Humbert : attaques sur le Montchel, attaques sur Mesnil-Saint-Georges, attaques sur la cote 101 et Fontaine-sous Montdidier, attaques sur Grivesnes, attaques sur Aubvillers : parfois, trois, cinq, sept attaques sur la même position. Toutes furent repoussées, el le 6e corps maintenait ses positions. A gauche, on était moins heureux : le général Nollet, commandant le 36e corps, avait pris le commandement des troupes ; elles se grossissaient de nouvelles divisions, mais arrivant sur le champ de bataille fatiguées et parfois démunies. Moreuil fut perdu vers le soir. Mais la ligne se reformait derrière l’Avre.

Maintenant les Allemands étaient réduits aux attaques