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reprenant, au jour baissant, leur marche toujours enveloppée de ténèbres et se donnant à elles-mêmes le spectacle enivrant de la force et de l’astuce germaniques portées au maximum : « L’Allemagne en marche, » écrit avec exaltation un officier. Et ainsi s’étaient glissées ces masses vers le front britannique où, tout en attendant l’assaut, on ne pouvait prévoir quelle violence il revêtirait. Devant Gough, les deux fronts étaient séparés par un espace de près de 1 000 mètres, — no man’s land, — ce qui pouvait rassurer, car avant qu’il fût franchi, pensaient nos alliés, les masses d’infanterie en mouvement seraient signalées, prises sous le feu des canons britanniques. Mais c’était compter sans le brouillard qui, dans la matinée du 21, allait se faire, par surcroit, le complice de l’armée allemande.

Le canon allemand qui depuis la veille se taisait, soudain se mit à gronder avant l’aube. Pendant deux heures, des obus toxiques tombèrent exclusivement sur les batteries, paralysant dans une certaine mesure la contre-batterie ; vers sept heures, les obus se mirent à pleuvoir sur les premières lignes avec une intensité presque inconnue jusqu’à ce jour. Et, a neuf heures quarante exactement, l’infanterie allemande parut soudain sur les premières tranchées, ayant franchi dans le brouillard, au milieu des barrages incertains des Britanniques, le no man’s land où ceux-ci pensaient l’écraser. Un demi-million d’hommes était ainsi jeté, entre Fontaine-les-Croisilles, au Nord, et Fargniers, au Sud, contre les 14 divisions britanniques.

Celles-ci opposèrent une résistance inégale. La 3e armée Byng, attaquée par Marwitz entre Fontaine-les-Croisilles et Demicourt, accueillit avec une telle résolution l’ennemi qu’à peine elle fut ébranlée, encore que les soldats combattissent un contre trois ou à peu près. En fin de journée, c’est tout juste si les Allemands avaient pu, sur cette partie du front, conquérir, — ce qui était exploit fort ordinaire, — les premières positions, et une bien légère poche s’était, de ce fait, creusée au Nord de la zone attaquée. Mais, au Sud, l’armée Gough, après avoir disputé courageusement les premières lignes et infligé de fortes pertes à l’ennemi, avait cédé sous la formidable pression des troupes de Hutier. Elle avait reculé, en bon ordre d’ailleurs, sur la ligne dessinée par Gouzeaucourt-Epehy-Le Verguier, — à 4 kilomètres en moyenne en arrière de l’ancien front, mais plus au Sud sur la ligne Le Verguier-Grand