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parer après quelques jours à cette brusque déchirure de leur ligne, mais ils en avaient néanmoins tiré la conclusion que, sur un même front « cuirassé, » une tactique nouvelle et, partant, imprévue, pouvait obtenir de grands effets. Nos états-majors, de leur côté, très impressionnés par ces faits nouveaux, faisaient, en vue d’offensives futures, des manœuvres de Cambrai et de Riga l’objet de leurs études.

La guerre sur le front oriental avait, je l’ai dit, permis aux stratèges allemands d’éprouver le mode d’attaque qu’ils comptaient utiliser cette fois sur le front occidental, l’expérience faite à peu de frais sur l’autre. Le procédé était de grouper fort loin, — à 30, 35 ou 40 lieues du front à attaquer, — la masse des divisions d’assaut, exercées à cette mission spéciale, à ne les porter vers les secteurs d’attaque que dans les tout derniers jours par des transports et des marches de nuit, à ne les faire pendant le jour cantonner que dans les villages et l’artillerie sous-bois, à interdire toute correspondance postale entre ces troupes et l’intérieur, à garder vis-à-vis des officiers même le secret de leur direction, en un mot à tout faire pour que ce secret atteignit un degré jusque-là inconnu. L’artillerie, amenée sous le couvert de la nuit et des bois, ne ferait, une fois installée, ses réglages qu’avec telles précautions que l’augmentation du matériel échappât à l’observation de l’adversaire. Enfin, la préparation d’artillerie serait violente et méthodique, mais courte, si bien que l’ennemi, endormi par les précautions préalables, ne fût, par le tir des canons, alerté que quelques heures avant le déclenchement de l’assaut. Par ailleurs, les obus toxiques joueraient tel rôle dans la préparation que celle-ci paralyserait la défense sans bouleverser le terrain, restant ainsi plus accessible. Par tant de mesures serait enfin dans l’esprit de l’état-major allemand réalisée la formule qui permettrait de rompre le front « inviolable, » sans que les réserves ennemies se pussent jeter au secours des défenseurs bousculés et presque anéantis. Resterait à réaliser l’avance : pour cela, les hommes devaient compter sur leurs ressources sans s’embarrasser d’attendre que gros canons et grosses voitures les suivissent : canons légers, mitrailleuses, autos-canons seuls seraient l’accompagnement de l’infanterie qui, jetée en avant, pousserait sans trop se soucier des liaisons, s’insinuerait dans tous les trous créés, tournerait les centres de résistance, s’infiltrerait dans les moindres fissures, de façon à