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ses points les plus vulnérables : le secteur récemment transmis par la 3e armée française à la 5e armée britannique. Là était le point de soudure entre les deux armées. Ce serait sur ce secteur du front que devait donc être porté le coup le plus brutal et nous verrons que c’est là qu’il le fut en effet.

Déchaînée entre Oise et Somme, la bataille pouvait prendre une ampleur tout autre que dans la trouée de Reims ; car si elle réussissait à sa gauche, dans la vallée de l’Oise, tout en donnant à l’assaillant une chance de voir, par suite d’un grave accroc, s’ouvrir devant lui la route de Paris, elle permettrait par un rabattement à droite de rejeter les troupes britanniques vers le Nord, de consommer la rupture des deux armées française et anglaise et, tandis que la bataille ferait rage au Nord de Noyon, d’essayer de s’engouffrer dans le trou créé entre Lassigny et Amiens. Si les défenseurs de la Somme étaient attaqués avec violence à l’heure où ceux de l’Oise cédaient, Amiens pouvait être enlevé et la rupture rendue presque irrémédiable non plus seulement entre deux armées, mais entre deux pays.

Lequel des objets de la grande attaque était le principal ? On en discutera jusqu’à, ce que nous possédions les documents allemands. Les Allemands ont-ils avant tout voulu se frayer, en attaquant les armées britanniques, tenues par eux comme moins résistantes que les françaises, un chemin vers Paris, quitte, en cas d’insuccès, à se rejeter sur Amiens ? Ont-ils, au contraire, pensé, en vue d’une attaque en direction d’Amiens-Abbeville, se créer simplement un « flanc défensif » de Noyon à Montdidier ? Il y a tout lieu de penser que la rupture des armées alliées, suivie du rejet vers le Nord des armées britanniques, constituait la manœuvre principale et était, le 21 mars, l’objectif à atteindre. Si, en cours de bataille, l’écroulement du front britannique entre Oise et Avre ouvrait une large trouée, si les réserves françaises n’arrivaient pas assez rapidement pour la fermer, si, partant, Clermont, Creil. Compiègne, après Noyon, Lassigny et Montdidier, devenaient accessibles, l’année von Hutier, qui attaquait au Sud, n’hésiterait point à s’engager dans la trouée et à menacer l’Ile-de-France. Il est probable que, dès le 23, l’espoir naquit de réaliser la seconde fin. Ce qu’il faut retenir, c’est que la rupture entre les armées française et britannique, si elle était l’objectif primitif des stratèges allemands, n’excluait pas l’idée éventuelle d’un rabattement à