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toutes les autres et bien établi sa suprématie. Conséquemment, ces faiseuses d’ordre aboutissent à un désordre nouveau, le leur : nous leur devons une nouvelle incertitude.

En somme, une philosophie de l’histoire obéit au vœu le plus cher de l’intelligence humaine, qui est de réduire à l’unité la multiplicité apparente. Nous ne sommes pas satisfaits dans la multiplicité ; nous avons la manie de l’unité. Mais on n’a pas encore démontré que ce fût également la manie ou l’usage de la réalité ou de l’histoire. Si peut-être l’histoire était essentiellement diverse, en dépit de nos goûts, la tentative de la réduire à l’unité serait imprudente. Aussi de bons esprits sans malice renoncent-ils à toute philosophie de l’histoire ; et ils se réfugient sans orgueil dans la frivolité ou le chagrin.


La philosophie de l’histoire que propose M. Ernest Seillière n’évite pas tous les inconvénients du genre : elle en évite quelques-uns. Elle n’évite pas de réduire très hardiment à l’unité des phénomènes qui n’ont pas moins de différences que d’analogies. Voici Fénelon ; c’est un mystique. Il a « rationalisé » les folies de Mme Guyon ; mais, rationalisées même, les folies de Mme Guyon mènent à l’extase. Et le romantisme ? C’est une inspiration : mysticisme. Et le socialisme ? C’est une exaltation : mysticisme. Dans un de ses précédents ouvrages, M. Seillière a étudié Les mystiques du néo-romantisme : ce sont Karl Marx, Tolstoï et les Pan germanistes. Et alors, le quiétisme, le romantisme, le socialisme en général, le marxisme en particulier, le tolstoïsme et pangermanisme sont assemblés d’une façon très ingénieuse, très aventureuse. Le quiétisme, le romantisme, le marxisme, le tolstoïsme et le pangermanisme, autant de mysticismes, oui ; mais à la condition de donner à ce mot de mysticisme une extension telle qu’après cela nous verrons du mysticisme partout.

Je le crois bien ! vous répondra M. Seillière ; et je le veux ! car il y a du mysticisme partout ; et c’est précisément où j’avais dessein de vous conduire : à constater en toute activité humaine un vif élément de mysticisme. Oui ! répliquerons-nous ; mais, si vous appelez mysticisme le principe de l’activité humaine, ce n’est pas surprenant que vous découvriez en toute activité humaine ce mysticisme que votre vocabulaire y a placé.

Cette réplique est juste et ne l’est pas. Elle est juste, aux moments où M. Seillière abuse un peu de sa doctrine et, par des tours de prestigieuse dialectique, s’amuse, ou a l’air de s’amuser, à vous montrer,