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affectivité, désagrégée par la névrose. » Cette formule paraît, à la première lecture, assez incommode. Mais enfin, si, avec son « affectivité désagrégée par la névrose, » cette espèce de folle trouvait en Fénelon ce conseiller « d’ordre affectif, » elle l’aimait ; et la formule de M. Seillière ajoute à la constatation du sentiment le motif, ou l’un des motifs, du sentiment : cette folle avait besoin d’un moins fou qu’elle, et complaisant à sa folie, capable néanmoins de lui gouverner sa folie. Du reste, M. Seillière a très bien montré, dans le détail, et avec la plus heureuse justesse, comment Fénelon « rationalise » ou rend plus raisonnable, ou moins déraisonnable, la pensée de Mme Guyon.

Les formules de M. Seillière ont d’abord quelque chose qui déroute : c’est un langage dont il faut avoir la clef. M. Seillière est un philosophe ; il a un système, et très original, très étendu, qui embrasse le temps et l’espace. Comme cet ample système, dit « la philosophie de l’impérialisme, » s’est déjà révélé par maints volumes d’un vif intérêt, l’auteur le tient pour admis et demande à son lecteur un effort de mémoire, qui d’ailleurs est celui qu’on fait si l’on vient à relire un chapitre de Kant ou un corollaire de Spinoza.

Il y a, au début d’un de ses ouvrages, Mysticisme et domination, le meilleur résumé de cette philosophie de l’impérialisme, en sept propositions, que je voudrais résumer à mon tour.

1° L’impérialisme, c’est à peu près ce que Nietzsche appelle « volonté de puissance ; » restons chez nous : c’est à peu près ce que La Rochefoucauld appelle « désir du pouvoir. » Et, tout bonnement, c’est à peu près l’ambition. C’est un instinct, « primordial et sans cesse actif » en tout être vivant. M. Seillière le rattache à l’instinct de conservation, lequel nous incite à posséder plus que le nécessaire, à nous procurer ce que, dans la lutte, nous perdrions, le cas échéant, sans un mortel dommage.

2° Les phénomènes appelés mystiques ont une grande importance, et plus grande qu’on ne l’a vue, dans l’histoire de l’humanité. M. Seillière appelle mystiques les phénomènes que la conscience claire n’atteint pas : l’extase évidemment, puis l’inspiration, l’exaltation, l’enthousiasme, et d’autres encore.

3° Le mysticisme vous conduit, c’est un fait, à croire que vous profitez d’une alliance divine, et d’un secours, ou d’un surcroît de force, don du ciel : de là, une forme d’« impérialisme irrationnel, » une ambition qui dépasse les conditions ordinaires de l’humanité.

4° Le mysticisme a été, pendant des siècles, contenu dans « les