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commença la course errante, infatigable, qui était sa lutte pour la vie… » Elle s’enivre de littérature, et de Gorki. « Ses livres l’enflammèrent ; ils lui parurent le poème épique de la misère, l’Évangile des déshérités. » Aimée d’un pasteur, dans une ville paisible des bords du Rhin, elle accepte de l’épouser et se sauve trois jours après les fiançailles. Elle rencontre un Parisien, Duvally, entrepreneur de spectacles, et rêve d’être actrice. Elle voit mourir le peintre hongrois qui l’aime et qu’elle n’aime pas ; elle se donne à un jeune officier autrichien, sans trop savoir comment ni pourquoi. Elle se rend à Rome, et c’est là que sonne l’heure où elle rencontre l’homme qui la fixera… Encore n’est-ce point le port ; les mêmes fluctuations, les mêmes changements au gré de l’heure et du vent recommencent avec lui : parce que l’étoile qui préside aux destinées de ce genre s’appelle l’Aventure ; parce que de telles femmes sont condamnées à n’avoir rien qui soit stable ou qui dure : et c’est ce qu’elles aiment aussi. Voilà sa vie ; ou du moins une partie de sa vie ; car, derrière son récit, il y d’autres péripéties, d’autres courses errantes, d’autres misères : et tout cela, ce qu’elle veut bien dire et ce qu’elle cache, sa sincérité d’une nuit et ses longs artifices, ce que le lecteur voit et ce qu’il devine, tout cela fait une vie étrange, cahotée, illogique, que l’on sent profondément vraie. « L’aube blanchissait derrière les vitres quand elle eut fini de raconter. » Les pages qui retracent une telle biographie, et beaucoup d’autres du même genre, se font lire avec un intérêt passionné. Elles montrent l’écrivain de race, celui qui sait découper un portrait dans la réalité mouvante, et le fixer tout en lui gardant l’allure de la vie.

La seule évolution qui se marquait jusqu’à présent, dans l’œuvre de M. Guido da Verona était l’accentuation de sa manière, à ceci près que l’influence de d’Annunzio, évidente dans ses tout premiers romans, est allée diminuant, jusqu’à disparaître. A ne parler ni de ses volumes de vers, auxquels le public fit peu d’accueil, ni du Cavaliere Spirito Santo, sorte de revue satirique de ses contemporains, le jeune auteur a déjà une œuvre copieuse derrière lui. Un être difforme qui se trouve être un peintre de génie aime d’un amour ingénu, total, désespéré, une femme qui le trahit. Il tue son rival, est condamné, devient une puissance de haine et de révolte, et meurt dans une émeute populaire dont il est l’âme : tel fut son début, Immortaliamo la vita. Il a considéré ce roman comme un péché de jeunesse et l’a désavoué : il a eu tort. Inégal, heurté, plein de fautes de goût et de mesure, le livre n’en est pas moins écrit avec une fougue qui le rendait aussi digne de vivre que ses successeurs. L’éditeur