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feuilles jetées au vent. Dans ses pérégrinations, au milieu de ses vicissitudes, il a des amis dont il ne se sépare jamais, et ce sont ses livres, qu’il emporte dans de grandes malles, d’hôtel en hôtel, de pays en pays. Il lit, n’abandonnant jamais le commerce des bons auteurs, qu’il possède à merveille. Il cherche, il étudie : car il y a des dictionnaires au milieu de ses livres. Après des heures passées au jeu, il rentre dans sa chambre, allume sa lampe, et se met à écrire. Ce n’est pas seulement le remède ; ce n’est pas seulement la façon de chasser par une autre fièvre celle qui le tient possédé : c’est un élément d’unité et de dignité qu’il met dans sa vie. Il n’écrit pas le moins du monde pour le profit ; ni même pour la gloire, qui est encore une manière d’intérêt. Il écrit parce qu’il est beau d’écrire. Et cette passion du beau est peut-être chez lui la plus forte de toutes.

Mais cette passion, à son tour, relève d’une donnée profonde de son caractère, qui est la volonté. S’il y a place dans cette vie de désœuvrement apparent pour un labeur tenace, c’est qu’il y a toujours, chez ce capricieux, une volonté qui veille. La nuance est délicate. Je ne veux pas dire qu’il ait suivi ce genre de vie par pénitence, et suis bien convaincu, au contraire, qu’il s’est laissé porter où sa nature l’inclinait. Mais enfin, il n’est pas entraîné par le tourbillon au point de ne pas voir ce qu’il a d’anormal ; il a la conscience très claire d’être lui-même une manière de paradoxe : et ce paradoxe, il ne l’atténue pas ; il l’accentue volontiers. Il ne lui déplaît pas d’étonner le vulgaire. Il est blasé : un peu moins peut-être qu’il ne le paraît. Il ne croit pas à grand’chose : il tient à ce que personne n’ignore qu’il ne croit à rien. Il y a sans doute une fatalité qui le pousse à choquer les idées reçues : mais elle lui paraît plaisante et heureuse, et il lui cède sans combat. S’il écrit un passage licencieux, il lui est agréable de penser qu’il provoquera des clameurs. Une pointe de scandale assaisonne sa manière d’être. Ses prédilections vont plus facilement à ce que les autres n’aiment pas. C’est un rebelle, avec quelque chose de spontané, et quelque chose aussi d’un peu laborieux.

Ce portrait aidera, je l’espère, à comprendre l’œuvre : d’abord sa matière, puisque M. Guido da Verona peint tout naturellement le décor qu’il a vu ; ensuite ses défauts très sensibles, qui semblent se rapporter tous à une exagération volontaire des procédés ; et aussi ses belles qualités ; de sa clairvoyance, de sa faculté de rester observateur tout en étant acteur, naît le sens de la vie ; et du don naturel d’écrire qu’il apportait avec lui en venant au monde, naît l’heureux privilège de se faire lire passionnément.