Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le livre que publie M. Marcel Prévost : D’un poste de Commandement,[1] vient à propos pour nous faire comprendre ce rôle nouveau de l’état-major. M. Marcel Prévost a été admis à séjourner dans un P. C. de C. A. pendant les jours qui ont précédé la bataille de l’Ailette et pendant la bataille elle-même. Il rapporte ce qu’il a vu, avec une simplicité parfaite, sans recherche de l’effet, sans développement de littérature, et plutôt avec une netteté, je dirais presque une sécheresse voulue. C’est le récit de la bataille vue d’un côté d’où on n’a pas coutume de nous la montrer. De là son originalité.

La description du décor tient en quelques lignes, et on conviendra que le plus enragé descripteur s’y fût vainement mis en frais de pittoresque. C’est dans un petit château aux trois quarts démoli : un baraquement construit en planches non rabotées et rondins non écorcés renferme le bureau du général et de son chef d’état-major, la station du téléphone, la salle de la popote. Encore l’endroit peut-il être tenu pour privilégié, recevant par des vasistas la clarté du jour, tandis que la plupart des P. C, condamnés jour et nuit aux lumières artificielles, sont de véritables prisons souterraines. Dans ce cadre, on en croira sur parole M. Marcel Prévost quand il affirme que « rien n’est plus austère que la vie d’un état-major français. » Il ajoute : « Rien n’est plus laborieux… Le travail de bureau, le travail écrit, calculé, dessiné, qui prélude à cette offensive, est quelque chose d’énorme, une chose dont vous n’avez, lecteurs, aucune idée et dont je n’avais moi-même aucune idée avant de la jauger directement, tandis qu’elle s’effectuait sous mes yeux. » Ce travail, pour nous borner à l’essentiel, consiste d’abord dans l’examen du terrain. Chaque unité doit savoir à l’avance quels obstacles elle rencontrera dans sa progression : d’où la nécessité de décrire un à un tous les accidents du terrain, creutes, ravins, marais, villages. D’après les vues photographiques prises par les avions, la carte est sans cesse tenue à jour, marquant les trous suspects, les emplacements de batteries, de façon que l’artillerie puisse les atteindre à coup sûr. Ensuite, il faut savoir quelles troupes on a devant soi. C’est à quoi servent les renseignements fournis par les déserteurs et les prisonniers. Grâce à leurs indications, sévèrement

  1. 1 vol. chez Flammarion.