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en jette trois à terre ; voici Coutharel tué. Bloch, venu du bataillon pour me demander de l’eau, s’enfuit, hurlant, la fesse en sang. L’explosion m’a renversé ; suffoqué, toussant à en pleurer, j’entends une voix à mon côté.

— Vous n’avez rien ?

— Je ne crois pas. Et vous ?

— Moi non plus. Une veine. Mais voyez mon équipement. Coupé comme par un rasoir, le voici hors d’usage.

L’ordre me vient d’assurer, par-delà la 69e division, la liaison avec le 15e corps. Tâche ardue ; nous heurtant, nous pressant contre les éléments qui garnissent les tranchées, nous voici, sur plus d’un kilomètre, enjambant par centaines les cadavres. L’essai de massacre, localisé hier sur ma section, a pris ici toute son ampleur. Qu’importe à mes yeux ? On ne m’apprend plus l’horreur.

— Et si vous voyiez la Place d’Armes, mon lieutenant ! Le 2e bataillon y a trouvé sa tombe.

— A-t-on quelques nouvelles de l’affaire d’hier ?

— Le 1er bataillon n’existe plus ; on apprend seulement que le commandant Oblet n’est pas aux mains des Boches, mais on ne sait où le chercher sans tomber sur l’ennemi. Lanckmans va partir à sa recherche.

— Point de survivants ?

— Des isolés, si perdus d’esprit qu’on n’en tire pas un mot. Le capitaine Hitler, blessé, a disparu. Le capitaine Boissin, les lieutenants Castelbaron, Jubien ont disparu ; le capitaine Destrais est écrasé. Mais voici pour vous un avis, mon lieutenant : faites manger à vos hommes leurs boîtes de conserves ; il n’y a pas de ravitaillement ce soir.

— Quoi ? dis-je. Et moi qui ai une soif !

— C’est à cause de la relève.

« La relève ! » ai-je crié. Alors ma soif a passé. Les hommes se regardent avec stupeur, muets ; mais leurs yeux brillent. L’espoir de vivre les a repris. Une heure durant, sans répit, nous veillons en comptant les secondes, les minutes ; mais je m’endors à ce jeu qui m’a bientôt lassé. Quand je me réveille, l’aube se lève ; troublant leurs ronflements, je secoue mes voisins endormis.

— Alors la relève ?

— On l’attend toujours, mon lieutenant.