Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— L’ouvrage Gers est repris, me disent-ils.

— Vrai !

— Cinquante Boches et deux officiers sont dans nos mains ; ils ont fait Kamarad ! sans combat.

— Bravo ! nous voici dégagés.

Toute la nuit, au fond d’un abri léger où, la tête sur ma poitrine, les pieds sur mes genoux, s’entassent des hommes, l’oreille tendue au moindre bruit, nous entendons dans nos entours le passage des éléments de la 69e division. « Par régiment, un bataillon va s’engager ; on attaque vers minuit. » Le bombardement s’est tu ; le coup serait-il par surprise ? La nuit alors était effrayante ; les fusées, par vingtaines, éclairaient fantastiquement les masses jaunes des nuages roulés par la colère du ciel. Tableau grandiose, d’un tragique à peindre dans son relief terrible, décor surhumain d’un de ces drames de nuit où le sang même perd sa couleur. A onze heures, Vandervoorde me revient.

— Je vous croyais mort.

— Je n’étais qu’enterré ; en dégageant les cadavres de deux hommes, Pascal et moi, nous avons pu sortir. Il m’amène un renfort.

— Combien d’hommes ?

— Huit.

— Des jeunes ?

— Classe 16, neufs au feu.

— Marrons bien crus pour une poêle si brûlante, dis-je. Je les verrai demain.

Un officier du 332e vint à moi ; sa compagnie m’encadre par les positions qu’elle doit prendre. « Serrez-vous à mon côté, lui dis-je ; mais délivrons-nous d’abord de ces cailloux qui m’entrent dans les chairs. »

Dès l’aube, des éclatements dans nos entours me rendent à l’angoisse.

— Ma compagnie est par terre, me dit mon compagnon. J’ai sept pièces hors de combat.

— Et vos hommes ?

— Mon fourrier en établit la liste ; il n’en reste pas trente.

Il se lève pour sortir ; il veut se rendre compte. Je me dresse pour l’accompagner ; mes hommes sortent pour nous laisser passage. Saisissant l’instant, un obus dans leur groupe