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Une question plus grave est celle de la séparation de notre armée en régiments flamands et wallons, soulevée par des Flamingants intransigeants. Des régiments séparés, et bientôt sans doute des brigades et des divisions, pour finir par deux armées distinctes, car, sur cette pente fatale, il paraît impossible de s’arrêter. L’exemple de l’Autriche-Hongrie nous avertit que l’existence de deux armées nationales est une des caractéristiques du dualisme d’État.

Or, il n’y a aucune ressemblance entre la Constitution belge et le pacte politique conclu par l’Autrichien et le Magyar, dans le dessein de régner, chacun, d’un côté de la Leitha, en tenant asservies les nationalités qu’ils oppriment. En Belgique, où deux races se sont intimement associées pour conquérir et conserver leur indépendance, l’armée est un des symboles vivants de l’unité nationale et une école de fraternité, autant que l’instrument de notre défense et la gardienne de notre liberté. Avant 1914 cette armée, après quatre-vingts ans de paix, n’avait pas de passé ; elle n’avait que des souvenirs de garnison, encore que ses officiers et ses gradés eussent montré en Afrique de quels exploits ils étaient capables. Mais l’invasion est venue, et l’armée belge a écrit de son sang une magnifique épopée sur le sol de la patrie âprement défendu. Et vous voudriez séparer dans l’avenir ces souvenirs de gloire et d’honneur, dissocier ces traditions d’héroïsme, disperser ces trésors d’abnégation, communs aux Flamands et aux Wallons, combattant coude à coude dans la boue des mêmes tranchées ? Ne sentez-vous pas que c’est là un héritage indivisible, dont l’armée sera a jamais fière, qui la fera plus homogène et plus unie au dedans, plus forte et plus respectée au dehors ?

J’entends bien que les soldats flamands, qui sont en grande majorité sous les drapeaux, par suite de l’envahissement plus rapide de la Wallonie, ont eu parfois à se plaindre de l’emploi trop parcimonieux de leur langue. Quel est le citoyen belge qui n’a pas souffert de quelque abus d’autorité en temps de guerre ? Comment exiger sous le feu de l’ennemi l’exécution intégrale de la loi, à peine promulguée, qui réglait l’usage des deux langues depuis le général jusqu’au simple sous-officier ? Le gouvernement s’est efforcé pourtant de l’adapter le mieux possible par des institutions heureuses aux exigences de la situation militaire. Attendez, pour la juger, qu’elle ait produit