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Je ne vois pas l’intérêt politique qu’a pour nous cette thèse juridique ; mais j’aperçois nettement le grand avantage qu’en retireraient nos ennemis, si elle triomphait. Il leur suffirait d’avoir violé un pacte international pour que ce pacte fût complètement annulé et pour se soustraire ainsi aux réparations morales et matérielles qu’entraîne sa violation. Devenue une belligérante ordinaire, la Belgique, au dire des Allemands, ne doit pas être traitée autrement que les Puissances combattantes. C’est à tort qu’on la représente comme une victime spéciale, dont le sacrifice a indigné les neutres les plus indulgents, et « cet enfant chéri de l’Europe, » — pour emprunter le langage de M. Erzberger, — n’a pas droit par conséquent plus qu’une autre nation à être indemnisé et restauré.

Il est évident, d’autre part, que si l’agression allemande nous a affranchis seulement, ipso facto, de nos engagements envers les Empires germaniques, elle a démontré en même temps l’insuffisance et l’inefficacité du traité collectif de 1839. Par-là elle a posé à nouveau devant le monde la question du statut international de la Belgique. Ce statut a besoin, pour la sécurité à venir de notre pays et pour la tranquillité de l’Europe, d’être révisé au rétablissement de la paix, et il doit l’être avec notre plein consentement. Aucun de nous, après l’expérience de 1914, ne consentirait à subir la pression morale qui fut exercée sur nos pères en 1830, afin de leur faire accepter la neutralité. Avant que nous arrivions au terme de nos sanglantes épreuves, nous avons donc à peser nous-mêmes à la balance des événements actuels les avantages et les dangers de ce régime.


La neutralité, malgré le malheur irréparable qu’elle a éprouvé, conserve des charmes aux regards d’un certain nombre de mes compatriotes. Ils estiment que la Belgique lui doit la tranquillité dont elle a joui pendant plus de quatre-vingts ans. A la vérité, durant cette longue période, notre neutralité n’a été exposée qu’une seule fois à un péril inquiétant. Ce fut en 1870. Mais alors le champ des hostilités n’a embrassé à l’origine que les bords du Rhin et de la Moselle ; l’objectif de l’état-major prussien a été Metz d’abord, puis Paris. Par l’effet d’une stratégie malheureuse, la guerre s’est