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bourgeois. Voyez mes romans : Benedict n’est-il pas un paysan, Geneviève une grisette ? » Sans doute, mais ne voit-elle pas, à son tour, que ses précédents romans étaient tout simplement romanesques, et que les derniers sont remplis de thèses sociales ? Horace est parfaitement ennuyeux.

Le contrat concernant Horace fut signé le 9 juin 1841[1], le manuscrit remis à l’imprimerie, — l’épreuve de la première partie renvoyée par l’auteur. George Sand s’attend à voir cette première partie dans la Revue du 1er septembre ; — elle n’y est pas.

« Mon cher Buloz, je m’attendais à voir la première partie d’Horace dans le numéro du 1er. Vous avez dû recevoir les épreuves le 25 ou le 26… Ce retard m’inquiète parce que je crains que la poste n’ait arrêté mes épreuves à cause des corrections[2]. »

F. Buloz alors s’éleva résolument contre Horace, et voici, le 15 septembre, la défense par son auteur de ce livre et des idées humanitaires qu’il contient. Cette défense est éloquente certes et véhémente, mais il me semble que George Sand y perd de vue un point essentiel, c’est qu’un écrivain, par ses opinions, peut compromettre le recueil dans lequel il écrit : « Ne vous mêlez pas de mes affaires, dit George Sand à F. Buloz. Je ne me mêle pas des vôtres, laissez-moi dire ce qui me plaît… » La proposition parait ingénue.


« Mon cher Buloz,

« Distinguons et tâchons de nous entendre. La Revue est-elle libre, ou ne l’est-elle pas ? A qui ai-je affaire ? A vous, à vos abonnés ou au gouvernement ?… Vos idées et vos instincts n’ont que faire dans ma prose. Je ne me mêle pas de votre chronique, pas plus que de votre ménage. J’aime votre femme, je n’aime pas votre chronique, mais je ne prétends diriger ni l’une ni l’autre, et je vous prie de laisser mon cerveau et mon encrier tranquilles. Si c’est à vous que j’ai affaire, voilà toute ma réponse. Vous êtes effrayé, dites-vous, est-ce pour vous ? Alors, ne prenez pas mon roman. Est-ce pour moi, cela ne vous regarde pas.

  1. L’Étudiant, premier titre d’Horace, est payé 9 000 francs, dont 5 000 francs à la remise du manuscrit.
  2. 7 septembre 1841.