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J’ignore ce que Mme F. Buloz a pu écrire, à la suite de cela, à George Sand ; certainement la jeune femme a dû s’inquiéter du ton des dernières lettres qu’ont échangées les deux amis, car, à son tour, George Sand, s’adressant à Mme Buloz quelques jours après, la rassure[1] :


« Ne vous effrayez pas trop de mes fureurs et de celles de votre Buloz, chère Christinette. Tout cela n’est pas si sérieux que vous croyez, car au fond, je ne peux pas m’empêcher d’aimer le pauvre ours mal léché qu’il a plu à la divine Providence de vous donner pour époux ; c’est un excellent homme, je le sais, mais il est bourru, et il a bien besoin que vous le passiez au rabot de temps en temps. C’est à vous d’adoucir un peu son naturel féroce, et si j’étais comme lui, dans la compagnie d’un petit ange de paix comme vous, je n’aurais pas toutes les colères que vous me reprochez. Je courbe donc la tête devant toutes vos gentilles admonestations, d’abord parce que je ne pourrais me disculper sans accuser votre client, et que malgré mes théories subversives, je ne voudrais pas (dussiez-vous m’écouter) faire auprès de vous ce rôle damnable ; ensuite parce que je n’ai aucune animosité contre cette douce victime Buloz, qui vous fait croire qu’il est un petit saint. Je ne vous dirai dans tout ceci que deux mots sérieux. Le premier, c’est qu’il m’a adressé un reproche blessant et qui seul m’a fâchée ; le second, c’est que ce qu’il a pris de ma part pour une provocation du même genre était fort loin de ma pensée.

« Je ne nie pas l’emportement de mon caractère : que Dieu m’accorde la grâce de ne me pas refroidir le sang, malgré l’âge philosophique qui m’atteint ! mais dans toute cette affaire, j’ai la certitude de n’avoir pas commencé les hostilités. Vous voyez trop de gens de lettres pour croire qu’il en soit de naïfs et de sincères. Je vous prie de relire la lettre incriminée, sans subir l’influence de Buloz, vous verrez qu’elle est franche et enjouée, que j’y défends mes intérêts sans colère, et que de bonne foi, pensant que ma métaphysique peut fort bien déplaire à vos abonnés, j’offre à Buloz de ne pas lui imposer, le danger de méditer davantage. Faut-il s’entre-dévorer après cela ?

« Je ne voulais pas vous dire cela si longuement. Pardon

  1. 1er juillet 1839.