Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

épreuves ; car voici venir maintenant Leroux et sa philosophie humanitaire et fumeuse…

Bientôt George Sand écrit au directeur de la Revue[1] : « Pour la première fois, j’ai du manuscrit terminé en portefeuille, et loin de le demander, vous avez fait un assez triste accueil à mon dernier envoi. Peut-être que je baisse ? Mon Dieu, dites-le-moi tout bonnement… car, croyez bien que s’il y a une conviction chez moi pour mes écrits, il n’y a pas d’amour-propre irritable. Je ne puis plus écrire agréablement, peut-être parce que je n’ai plus l’esprit agréable, mais qu’est-ce que cela fait ? il y a tant de bons lecteurs par le monde ! » Autre chose irrite à ce moment la « Reine : » l’insertion du Faust de Henri Blaze, car, elle aussi a fait un article sur Faust. « Vous saviez que je l’avais à votre disposition, et vous avez donné la préséance à celui de votre beau-frère ! »

Mais la grosse question, comme toujours, c’est la question d’argent. « Mes fermiers ne me paient pas, mes ouvriers de la maison que j’ai fait réparer à Paris ne veulent pas attendre, et j’ai 60000 francs de dettes sur ce que j’appelle mon passif, c’est-à-dire la fortune dont je suis censée jouir, en dehors de mon travail. » Dans ces conditions, qui pourra l’aider ? « Vous faites en grand les affaires que vos rédacteurs font en petit, vous devriez donc être préparé à tout événement, et n’être pas à court d’écus comme un petit négociant, lorsque nous venons, nous qui n’avons qu’une corde à notre arc, frapper à votre porte… » et encore : « Ne refusez pas mes manuscrits ; autrement, que voulez-vous que je devienne ? Je ne vous dis pas que vous soyez fort à l’aise… si nos conventions ne vous vont plus, déchirons-les[2]. »

Après avoir parlé ainsi, rudement, elle termine : « Bonsoir, mon cher Buloz, répondez-moi à Nohant, où je suis depuis cinq jours avec Maurice parfaitement guéri, et Solange toujours belle et forte, moi pas belle, pas riche, mais encore assez forte pour embrasser Christine, et vous donner des coups de poing[3]. »

  1. Le 5 juin 1839.
  2. F. Buloz à cette heure ne lui avait rien refusé, mais elle semble ici faire allusion à son étude sur Goethe, Byron et Mickiewicz, qui ne parut que plus tard à la Revue : 1er décembre 1839.
  3. Inédite : F. Buloz a écrit en guise de commentaire en tête de cette lettre : « Je garde ces deux lettres (celle-ci et la suivante)… qu’on n’a pas craint de m’écrire, quand on me devait plus de 10 000 francs depuis des années.