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Il s’efforça de maintenir et même de renforcer la production annuelle qui était d’environ 1 750 000 tonnes en temps de paix ; pour cela, il eut recours aux pyrites norvégiennes et… pour un temps bref, au soufre italien ; il prit d’autres mesures essentielles, et notamment il en fit réduire énormément l’emploi dans l’industrie des engrais, des superphosphates qui en absorbaient environ 600 000 tonnes par an. La restriction consécutive des engrais fut même telle que le président de la ligue agricole allemande dut écrire à Hindenburg une lettre pour se plaindre et réclamer 500 000 tonnes d’engrais chimiques nécessaires au ventre germanique.

Pourquoi l’acide sulfurique est-il ainsi l’élément essentiel des fabrications de guerre ? C’est que sans lui on n’aurait ni poudres ni explosifs, c’est-à-dire qu’un pays ne peut utiliser ses armes à feu qu’en proportion des quantités de cet acide dont il dispose.

Considérons en effet, tout d’abord, la poudre pyroxylée qui sert à propulser les obus et les balles de nos canons, de nos mitrailleuses, de nos fusils et sans laquelle ces engins ne seraient que des blocs de fer encombrants et inutiles. J’ai expliqué naguère, ici même, que cette poudre est obtenue en traitant par l’acide nitrique ou nitrifiant le coton de façon à obtenir le coton-poudre ou fulmicoton, qui, traité lui-même par un procédé spécial qui le gélalinise et le rend insensible au choc, est découpé finalement en ces lamelles prismatiques qui constituent la poudre sans fumée.

Or, contrairement à ce qu’on pourrait croire a priori, l’agent essentiel dans la nitrification du coton, opération principale de la fabrication des poudres, n’est pas l’acide nitrique lui-même, mais bien l’acide sulfurique. Le bain acide dans lequel le coton, préalablement purifié, est trempé est en effet un mélange contenant une partie d’acide nitrique et trois parties d’acide sulfurique concentré. Le rôle indispensable de celui-ci, qui est comme on sait un corps très avide d’eau, est d’absorber au fur et à mesure l’eau que produit la combinaison du coton et de l’acide nitrique et en présence de laquelle la réaction ne se ferait pas. L’acide sulfurique est ainsi l’agent chimique essentiel de la fabrication des poudres.

L’association des acides nitrique et sulfurique dans la nitration de la poudre, comme dans celle, — nous allons le voir, — des principaux autres explosifs, est d’ailleurs devenue si classique qu’on a créé un terme spécial pour le désigner et qu’on appelle bain sulfonitrique, le mélange des deux acides. Si ennemi qu’on soit des néologismes, il faut admettre ceux que la science et la technique