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preuves de son dévouement et de son amitié, elle a, dans cette fin d’année, toujours quelque reproche à lui faire, des mots blessants se glissent dans ses lettres. Ne sont-ils pas suggérés par les amis nouveaux qui composent son entourage ? Petit à petit, sa bonhomie amicale, son laisser aller sans façon feront place à une acrimonie persistante : bientôt ses lettres deviendront méchantes, menaçantes même. Michel règne, et, sous l’influence de Michel, la voici qui devient homme de loi, et qui se méfie de son ami, — ou presque ; c’est tout à fait curieux.

Sur une lettre de George du 6 octobre, F. Buloz écrit : « Tentative pour arriver à la rupture du traité des Mémoires. Lettre amicale encore pour moi, mais sans justice pour mes associés[1]. »

Dans cette lettre, qui est uniquement une lettre d’affaires, George Sand reproche à F. Buloz son mariage « qui dure depuis deux ans, » et « qui, dit-elle, l’empêche de songer aux affaires des autres. » Cette lettre est assez vive, et se termine, ainsi : « Adieu, mon ami, parlez-moi de votre mariage, portez-vous bien, restez honnête homme, vous ne ferez pas fortune, mais vous n’en serez que plus heureux[2]. »

F. Buloz va se fâcher sans doute ? Avec le caractère rude qu’on lui prête, il va répondre rudement ? — Non — il sera d’une patience parfaite à l’égard de la Reine, et, se rendant compte que l’influence actuelle s’exerce contre lui, il observera : « Je sais qu’on vous monte la tête. »

« Vous êtes souverainement injuste avec moi, mon cher George, vous le reconnaîtrez plus tard ; vous m’écrivez de rester toujours honnête homme ; j’ai donc songé à ne plus l’être ? Certes on ne peut rien écrire de plus blessant à un homme. Mais, je ne vous en veux pas de tout cela, je sais qu’on vous monte la tête et que vous êtes toujours bonne et juste, tant que vous n’écoutez qua vos propres inspirations…

« Vous avez toujours trouvé, j’ose le dire, l’ami avant l’éditeur, je n’ai jamais reculé lorsqu’il s’est agi de vous rendre service, même en me privant. C’est la première fois que je me permets de vous le faire observer, parce que vous êtes fort dure dans vos lettres : toutes les fois que je vous ai vue malheureuse,

  1. Ses associés F. et F. Bonnaire.
  2. Inédite.