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suivirent le collège, ni le stage chez l’avoué ne l’avaient refroidie. Témoin le sujet de thèse qu’il avait choisi pour son doctorat, conciliant ainsi ses goûts poétiques et les exigences universitaires : « les idées politiques de Lamartine… » Témoin la liste de ses projets de travaux retrouvée dans ses papiers, J’en transcris quelques titres qui décèlent la fièvre d’ambition intellectuelle, si révélatrice, dont est consumée la jeunesse des écrivains-nés, — un roman en quinze volumes : Jean Malleterre, le premier épisode devait s’appeler : le Sculpteur aux mains brisées ; — des pièces de théâtre : Comédiens, le Vieil homme, — les Autres, les Usuriers de l’amour, le Carrefour des douleurs ou l’Étranger ; — un recueil de vers : Le livre des jeux de la mort ; — d’autres romans : Liliatica via, Per mortem veritas, Ames du siècle. A côté de ces projets, je relève des règlements de travail. Cette recherche de la meilleure méthode est un autre indice, très significatif, de la vocation qui se cherche. Ce passionné scrupule d’employer au mieux ses forces d’esprit dans le domaine des Lettres, accompagnait Rayrnond Jubert à travers son autre métier. Au fort de la guerre, en avril 1917, et tout près de sa fin, il se traçait ce programme : « Huit jours de lecture ; huit jours de méditation sans écrire ; huit jours de notations brèves ; huit jours de méditations écrites ; quinze jours d’œuvres soutenues… » Les noms de maîtres à étudier suivaient, parmi lesquels je relève ceux de Dante, de Musset, de Baudelaire, de Pascal, de Vigny, de Balzac, et, pour finir, celui du Vinci. Ce seul détail suffirait pour caractériser la haute intelleclualité du jeune homme qui rangeait parmi ses patrons le subtil et puissant Léonard, cet Aristote créateur dans lequel s’incarne l’Idéal suprême et peut-être chimérique de l’artiste moderne : comprendre la nature et la reproduire !


III

Revêtez maintenant ce méditatif d’un uniforme. À ce délicat, dont la sensibilité s’est aiguisée par un reploiement quotidien, imposez le plus dangereux, mais aussi le plus sacré des devoirs : la défense à main armée de son pays envahi. Jetez-le, pendant des mois, au plein d’une mêlée comme l’humanité n’en a pas connue. Quel déconcertement, croyez-vous ! Quel désarroi !… Mais non. Dès les premières lettres que l’avocat