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UN SOLDAT DE VERDUN
RAYMOND JUBERT


I

Aucune guerre n’aura, au même degré que celle-ci, suscité le témoignage écrit des combattants. Elle ne dure que depuis quatre années et déjà elle comporte, du moins chez nous, une littérature aussi démesurée qu’elle-même. C’est là un phénomène très nouveau, qui s’explique par une nouveauté correspondante dans le recrutement des armées. Le soldat de métier qui les composait jadis n’était que soldat. Son intelligence, le plus souvent, restait strictement professionnelle. Stendhal, pourtant si fier d’avoir porté l’uniforme, reprochait à ses compagnons de la retraite de Russie ce manque d’ouverture dans l’esprit. Il les appelait des manches à sabre, bien injustement, semble-t-il, car ceux de ces héros qui se sont racontés, sur le soir de leurs jours, nous ont révélé, chez eux et chez leurs camarades, une très haute qualité d’âme. Mais cette vie intérieure demeurait d’habitude aussi inconsciente qu’inexprimée chez ces hommes dressés à la discipline de la caserne, sévèrement et uniquement. Il n’en va plus ainsi dans les armées d’aujourd’hui. Le service universel jette au champ de bataille, avec la mobilisation, un immense afflux d’hommes pour lesquels la « servitude militaire » n’a été qu’un épisode passager, et qui ont grandi, qui se sont développés dans toutes les libertés du travail civil. Ce sont des avocats et des ingénieurs