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chemins d’exil, qui sont presque sa seule promenade depuis trois années. Les arbres grêles, qui jaillissent par touffes du sol de sable, n’ont guère qu’une taille d’arbuste, trois mètres de haut, et ils nous donnent à peine de l’ombre. Mais il est quand même adorable, ce bois, adorable d’être enclos et d’avoir gardé son air sauvage, adorable précisément d’être si petit, si rabougri, tourmenté par les rafales marines, d’être une rareté sur ces plages, d’avoir poussé là si exceptionnellement et comme exprès pour les promenades d’une reine martyre.

— Vous faites très bon effet, avec vos deux bleus qui s’harmonisent, nous dit en riant la comtesse de C. la dame d’honneur. (Pourtant je n’ai, moi, que le banal bleu-horizon du drap militaire.)

— Vous, madame, lui dis-je, vous devez être éminemment coloriste, car je suis bien sûr que ce costume d’un si joli jaune-pensée, vous l’avez choisi pour faire valoir le bleu de Sa Majesté.

Puisque tout me charme ou m’amuse aujourd’hui, je suis content de savoir que je ne fais pas tache dans ces sentiers, avec mon bleu « qui s’harmonise. » J’ai même plaisir à entendre le petit cliquetis métallique de mon sabre, dont je m’étais déshabitué et qui me rappelle des années plus jeunes… (Depuis la guerre, nous ne portons plus cet objet de parade, mais on sait que, devant des souverains, il est incorrect de paraître sans arme.)

Avec quelle simplicité et quelle grâce juvénile la Reine, en passant, écarte tout doucement les branches, pour me montrer des nids de rossignols : « Voyez, dit-elle, comme ils sont confiants, nichés si bas I »

— Le mois prochain, dit encore la Reine, le bois sera plein de grandes fleurs jaunes que j’aime beaucoup… Ah ! justement en voici une tige.

Elle se baisse pour la cueillir et me la montrer » : « Tenez, connaissez-vous cela ? »

Ah ! si je connais cela ! mais c’est une fleur de mon enfance, qui abonde sur les plages de mon ile d’Oléron, espèce de large mauve en satin jaune pâle, qui embaume discrètement. Je suis ému de la retrouver ici, cette fleur de mon pays, entre les mains, de la Reine.

Cette promenade si courte, si éphémère et si impossible à