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à genoux devant eux. Une seule de leurs divisions a barré le chemin à trois divisions ennemies. La fleur de leurs intellectuels est tombée. Professeurs, avocats, ingénieurs, écrivains, se sont battus comme de simples soldats et sont morts. Les blessés demandaient le coup de grâce pour ne pas être pris par les Allemands. »

Ce témoignage admirable du plus compétent des juges est d’autant plus précieux à retenir qu’en ce moment même les troupes tchèques sont en train de se voir reconnaître officiellement par les gouvernements Alliés la place à laquelle leurs services leur donnaient le droit d’aspirer. Avec ces groupements épars et si inégaux en nombre, avec les régiments qui se sont fait prendre par les Serbes et par les Italiens, on est arrivé à constituer une véritable armée, qui aura son existence propre, ses chefs, son drapeau, et qui sera sur nos champs de bataille l’incarnation vivante et agissante de la patrie tchèque. Cette création, dont les résultats peuvent être singulièrement importants, est l’œuvre de trois ou quatre hommes politiques : M. Masaryk en Russie, M. Stefanik aux États-Unis, M. Benes en France, en Italie et en Angleterre. Combien cette légion tchéco-slovaque comptera-t-elle de divisions ? et dans quelle proportion sera-t-elle répartie entre les divers fronts ? il ne nous appartient pas de le dire[1]. Mais ce qui est sûr, c’est qu’elle se montrera la digne héritière d’une race dont les vertus militaires se sont affirmées à toutes les époques de l’histoire. « Nous voulons faire voir, nous écrivait un jour un volontaire tchèque du 1er Etranger, que dans nos veines coule toujours le vieux sang des Taborites. » Ils l’ont fait voir, en effet, comme soldats de nos régiments : ils le prouveront encore

  1. Au moment où nous relisons les épreuves de cet article, les journaux annoncent l’arrivée à Vladivostok de deux régiments tchéco-slovaques. D’où viennent-ils, et où vont ils ? Ils viennent de l’Ukraine, où ils s’étaient formés à la voix de leurs leaders nationaux, et d’où ils ont dû se retirer lorsque l’Ukraine s’est si fâcheusement ralliée à la cause germanique. Il semble bien d’ailleurs que les destructions systématiques d’approvisionnements qu’ils y ont opérées avant de partir soient pour beaucoup dans la désillusion alimentaire de l’Austro-Allemagne. Quant au but de leur voyage, on peut le deviner en songeant que le Japon et le Canada forment la route la plus sûre actuellement pour aller de Russie en France. Ce n’est pas une odyssée banale que celle de ces braves gens qui, partis de Bohême comme soldats autrichiens, vont venir se battre à nos côtés après avoir traversé la moitié de l’Europe, l’Asie et l’Amérique. Il ne leur manquera plus, pour achever leur « tour du monde, » que de rentrer de France en Bohême en passant sur le ventre des Allemands.