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vrais, traversé par la lumière naturelle, enflammé par le soleil, forme un spectacle infiniment plus vivant, plus varié et plus coloré au-dessus et au-dessous de la ligne d’horizon.

Le regard, en s’abaissant, ne retrouve que le vide ou des détritus amorphes et inorganiques. Là où fut un bois, un jeu de quilles ébréchées et pointues ; là où fut un village, un semis de jonchets, là où fut un fort, une moraine de décombres : au premier plan, le réseau vermiculé des tranchées, reconnaissables à leurs bourrelets de terre, l’entrée de quelque casemate s’ouvrant comme une gueule de four, des sacs de terre gris empilés, des rondins assemblés, quelque chose au ras du sol qui évoque des isbas enterrées ou des tanières, parfois, à l’arrière, des habitations improvisées faites des matériaux les plus hétéroclites auprès desquelles les maisons des zoniers sont des chefs-d’œuvre de symétrie : — tel est le décor que trouvent les peintres qui veulent placer un tableau de bataille.

Il est à peu près nul. Si donc le peintre veut exprimer ce qu’il y a de vraiment nouveau et caractéristique dans le théâtre de la guerre, tel que l’ont fait les explosifs, il ne doit pas s’acharner à peindre un « champ » de bataille : il doit peindre un « ciel de bataille. » Ainsi van Goyen, dans ses Marines, exprimait en réalité des ciels sur la mer. — Montrer la tâche d’encre que fait, au milieu d’une nature radieuse de soleil, la fumée de l’obus qui éclate ; dresser, au-dessus des villes ou des villages bombardés, la colonne d’or que forme en s’élevant dans l’air la fumée de l’obus incendiaire ; marquer d’un violet sale le point où une mine explose ; gonfler autour des avions qui passent les petits flocons clairs ou noirs des « fusants » qui les poursuivent au vol ; parsemer l’horizon des légères bouffées de vapeur blanche qui semblent sortir du sol, là où a éclaté un obus dans le lointain bleuâtre où tout se confond ; et surtout pénétrer toutes ces splendeurs mortelles des rayons réverbérés de la terre et du ciel ; les harmoniser, dans la sérénité lumineuse de l’immense nature : — telle est, s’il veut bien la comprendre, la tâche du paysagiste de bataille. On a déjà vu, à la galerie Georges Petit, dans les études d’un combattant de Verdun, M. Joseph Communal, le parti qu’un vrai coloriste peut tirer de ces spectacles nouveaux. Il y a vraiment un tableau dans le ciel.

Il y en a aussi sous la terre. Le feu intense de l’artillerie