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français, comme les Valons et Français mesmes, ès marchez, ès foires, ès cours, les paysans en assez grand nombre, les citoyens et les marchands pour la plupart, » notait en 1591 le lexicographe Melléma. « Les personnes de qualité, remarquait le P. Bouhours en 1670, font du français une étude particulière, jusqu’à négliger tout à fait la langue naturelle et à se faire honneur de ne l’avoir jamais apprise. Le peuple même, et ceci est d’importance, tout peuple qu’il est, est en cela du goût des honnêtes gens : il apprend notre langue presque aussitôt que la sienne[1]. » Mêmes observations à la veille de la révolution brabançonne, — et cette fois ce sont d’amères doléances, — sous la plume de l’avocat Verlooi, que sa dissertation sur « le mépris de la langue maternelle aux Pays-Bas » classe parmi les précurseurs de l’anxiété flamingante. « A Bruxelles, écrit-il, le vulgaire repousse et méprise la langue flamande sans la connaître ; nos demoiselles ne se montrent jamais avec un livre d’heures flamand[2]. »

Voilà trois témoignages concordants, bien que l’esprit en diverge : ils s’échelonnent à travers trois siècles au cours desquels les Pays-Bas relèvent de souverainetés qui n’ont rien de français, de l’Escurial, de la Hofburg, et pourtant le français s’y propage avec la pétulance d’une mode contre laquelle le patriotisme flamand finit par sonner l’alarme. Mais sous les Habsbourg d’Espagne ou sous les Habsbourg de Vienne, cette mode n’a certainement rien de politique : le champ n’était pas libre, assurément, pour le gouvernement des Bourbons, s’ils eussent voulu faire peser une force d’asservissement sur l’âme flamande et sur l’esprit flamand. Sous la Convention, sous l’Empire, où pour la France le champ devint libre, elle fut, nous l’avons vu, inhospitalière au flamand dans les documents officiels ; mais en toute indépendance les chambres de rhétorique flamande purent organiser vingt-cinq concours publics[3]. L’Allemagne d’aujourd’hui, qui sait comment on pratique une politique d’offensive contre la libre autonomie des cultures nationales, aimerait pouvoir établir, à l’appui de ses visées, que la longue culture française des Flandres aurait été le résultat d’une importation violente, comme de nos jours est germanisée

  1. Wilmotte, op. cit. p. 35 et 46.
  2. Hamelius, op. cit. p. 20.
  3. Id. ibid. op. cit. p. 29-32.