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Renaissance. Ce Jean Le Maire était un bourgeois de Bavay : la vanité qu’avait cette petite ville, plus tard française, de s’identifier avec la légendaire cité de Belgis, fondée par le légendaire roi Belgius, introduisit dans le nom de ce poète le nom de la Belgique[1]. « Le premier, écrit Etienne Pasquier, qui à bonnes enseignes donna vogue à notre poésie, fut Maître Jean Le Maire de Belges, auquel nous sommes infiniment redevables, non seulement pour son livre de l’Illustration des Gaules, mais. aussi pour avoir grandement enrichi notre langue d’une infinité de beaux traits, tant en prose que poésie. »

Les Chastellain, les Jean Le Maire, assidus commensaux des ducs de Bourgogne ou de la régente Marguerite d’Autriche, font donc figure de précurseurs pour la littérature française. Ils font école à Paris, mais non point en Belgique. Car soudainement, au travers du XVIe siècle, la littérature belge devient à peu près stérile. Elle est stérile en français, si l’on excepte les polémiques religieuses de Marnix de Sainte-Aldegonde et les essais lyriques de Sylvain de Flandre, qui finit par s’exiler, se sentant dépaysé[2]. Elle est stérile, plus encore, en flamand. Nous sommes au temps de Charles-Quint : la haute société belge se laisse peu à peu transformer par un afflux de noblesse germanique, et le long duel qui s’engage entre la France et les Habsbourg détruit entre France et Pays-Bas du Sud la féconde intimité des rapports[3] : toute littérature belge s’éteint. Et de ce bel échange de cultures qui produisait à certaines heures un mutuel enrichissement, il ne restera bientôt d’autres survivances que certaines courtoisies d’appel et d’accueil, qui assureront à Franken, à Pourbus, à Rubens, à Philippe de Champaigne, et puis sous Colbert à certains tapissiers des Flandres, les commandos et l’hospitalité de la France.

Mais si le temps n’était plus où la cour et la haute société des Pays-Bas avaient souci de faire s’épanouir à leur ombre une littérature indigène en langue française, la connaissance et l’usage de cette langue allaient sans cesse progressant. L’Université de Louvain, en 1562, sentait l’urgence de créer une chaire de français pour retenir dans ses auditoires les étudiants flamands. « Tous les Flamands se servent quasi du

  1. Kurth, Notre nom national, p. 28-30 (Bruxelles, Dewit, 1910).
  2. Wilmotte, op. cit. p. 36-44.
  3. Pirenne, op. cit. III, p. 314, 315.