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terre romane pour qu’ils y apprennent l’autre parler ; et des enfants de là-bas viennent à leur tour chez lui, pour habituer à son idiome, — à la « langue thioise, » comme on l’appelle, — leurs oreilles et leurs gosiers. On voit les chambres de rhétorique du pays flamand prendre part, en 1455, au concours ouvert par le Puy d’amour de Tournai, société de langue française. M. Pirenne a pu dire que, « pour trouver dans l’histoire belge du moyen âge, l’opposition de l’élément germanique et de l’élément roman, il faut l’y avoir mise tout d’abord, sous l’influence d’idées préconçues[1]. »

Aucune trace, en aucun moment, d’un assaut de la culture française en Flandre, ni même d’une transplantation systématique : il y a infiltration spontanée, acclimatation progressive, rien de plus. A mesure que le latin disparait des actes publics, c’est le français, tout d’abord, qui le remplace en Flandre ; et la substitution, chose curieuse, se fit en Belgique plus tôt même qu’en France. On la voit accomplie à Termonde dès 1221 ; Ypres, au XIVe siècle, rédige en français ses comptes communaux, et libelle en français son registre des Keures, palladium des libertés communales. Le français, à cette date, est en Flandre « comme une seconde langue maternelle, ou, si l’on veut, une seconde langue nationale[2]. » A Bruges, cependant, c’est la première langue maternelle qui tient bon ; dès 1302, les comptes communaux emploient le flamand ; on dirait qu’à la suite de la bataille de Courtrai la « langue thioise » résonne avec plus d’allégresse, propageant autour d’elle une certaine fierté linguistique dont au XVe siècle les ducs de Bourgogne, tout Français qu’ils soient, tiendront compte. Mais, c’est sans gros incidents, sans luttes ardentes, que les deux langues prennent peu à peu leurs positions : le français, dans les actes de l’administration centrale, qu’elle s’exerce au nom de Philippe le Bon, ou de Charles-Quint, ou du roi d’Espagne ; le flamand, dans les actes d’administration provinciale et municipale.

Le gouvernement central, du XVe au XVIIIe siècle, juge courtois et commode d’écrire aux communes flamandes dans leur langue flamande. Mais il se trouve des souverains, au XVIIIe siècle, pour renoncer à cet usage, et pour commencer, officiellement, d’écrire en français aux échevinages flamands :

  1. Pirenne, Histoire de Belgique, I, 3. édit. p. 21-24, 36-40 et II, p. 340.
  2. Kurth, la Frontière linguistique, II, p. 31.