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Le « moyen âge, » disait-on naguère, et même il y avait des gens pour l’enseigner, « le moyen âge, époque de barbarie. » Si quelqu’un opposait à cette définition le nom de certains personnes qui se distinguèrent à cette époque : en politique, un saint Louis, un Dante en poésie ; en art, les architectes, sculpteurs et verriers de nos cathédrales, on se bornait à répondre que c’était là des exceptions. Comme si de notre temps c’était devenu la règle ! On traite aujourd’hui le xiiie siècle avec un peu plus d’indulgence et l’on commence à s’apercevoir qu’alors, même en musique, les choses n’allaient pas déjà si mal.

Une société dont le nom seul éveille plus que jamais dans nos cœurs un tendre et douloureux écho, la Société des Amis des Cathédrales, a donné le 25 mars dernier une audition de musique religieuse française, entremêlée par M. Amédée Gastoué de savans, et chaleureux, et patriotiques commentaires. « Voici l’invitation, » nous écrivait notre confrère. « Venez entendre des choses inédites ou, si je puis dire, « inaudites » depuis des siècles. Faisons-nous une âme musicale accessible à toute époque : nous y trouverons des jouissances renouvelées et infinies. » L’invitation n’était pas trompeuse, et des siècles en effet, des « siècles obscurs » jusque-là, se sont devant nous découverts.

C’est du XIe siècle que date le plus ancien des morceaux qui nous furent ainsi révélés ou rappelés. Il est extrait d’un « jeu de Noël, » composition de l’école de Limoges, en l’honneur de la Vierge. La vocalise y joue un rôle important : la vocalise, dont on a trop médit, faute de la bien comprendre et d’en connaître, avec la très haute et quasi religieuse origine, l’évolution à travers les âges et les genres ou les styles divers. Qui de nous connaissait Gauthier de Coincy (XIIIe siècle], dont un délicieux cantique, pour solo et chœurs, le plus vieux peut-être de nos « cantiques » véritables, célèbre avec une dévotion presque mélancolique l’allaitement de l’Enfant Jésus par Marie ? Au XIVe siècle, voici Guillaume de Machaut, poète et musicien, secrétaire d’un roi de Bohême alors allié de la France, et chanoine de Reims. Que son nom soit uni pour toujours au nom plus que jamais sacré de la cité baptismale de notre patrie. Il en a magnifiquement célébré les gloires et les douleurs : celles-ci dans une « déploration, » adressée pendant un siège de la ville à la Vierge protectrice ; celles-là dans une messe, chantée à la cathédrale pour le sacre de Charles V, et dont la grandeur, la force, en six cents ans de musique d’église, n’a peut-être pas été surpassée.