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aux palmes, alors que tout espoir glorieux était promis, le Bulgare félon, immortel ennemi de la race, lâchement trahissait ses frères.

Mêlé à la lutte sauvage, Miloutine Boïtch combattait avec les siens, désespérément. Il vit l’ennemi innombrable passer les gués, s’emparer des monts et des plaines, occuper les bourgs et les villages. Il vit les cités périr, les dômes des temples s’écrouler, « les incendies planer au-dessus des moissons. » Sous ses yeux, la torche furibonde mettait le feu à Semendria la Royale, à Belgrade la Blanche : de toutes parts, les autels brûlaient, les foyers brûlaient. On percevait les sanglots des femmes que l’envahisseur entraînait aux infâmes orgies, les hurlemens des vieillards à qui l’on croyait les yeux, les cris plaintifs que les enfans poussaient sous la pointe des baïonnettes. Un peuple, tout entier, gémissait, « trempant de larmes ses lourdes chaînes. »

Alors, la haine tenace, éveillée aux cœurs des siens, Miloutine Boïtch l’exalta : il voulut qu’elle devint leur nourriture, leur pain, leur eau, leur moelle, leur raison de vivre encore :

« Souvenez-vous ! Que les jeunes mères arrachent de leur sein aride l’enfant exsangue pour saisir, elles aussi, la hache et le couteau ! Que les femmes fixent la crosse des fusils contre leur joue pâle ! Que les vierges se défendent un pistolet dans chaque main ! Ô Serbie ! ne pleure plus à genoux ! Relève-toi, bondis ! Toutes les mains qui ont semé ce blé qui tremble déjà, pour d’autres, dans nos sillons, vont brandir le glaive vengeur ! Ô Serbie ! Reprends tes champs et tes chaumières, tes bourgs et tes cités, tes autels et tes foyers ! Reprends, O Serbie, la maîtrise de ton Destin !… »

Mais, quelle digue efficace les malheureux Serbes pouvaient-ils opposer désormais à la masse submergeante des hordes bulgaro-germaines ? La Save et la Drina, aux forts courans, étaient changés en fleuves de sang ; le large Danube, devenu monstrueux charnier, ne charriait plus que des cadavres. Qu’espérer sinon, au milieu d’inénarrables souffrances, l’exode de tout un peuple, de mont en mont, de plaine en plaine, de fleuve en fleuve, à travers les neiges de l’Albanie ?

… « Comme des âmes maudites qui errent par le monde, sans abri, sans famille, fiers pourtant, nous attendons, intrépides, de nouveaux cimetières. Pendant des siècles, nous avons