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côte. L’altraction newlonienne commençait ainsi à poindre. Mais les partisans d’Aristote lui opposaient cette difficulté toujours pendante : l’action à distance est-elle possible ? et ils répondaient : non ! avec la même assurance que certains philosophes actuels démontrant l’identité de l’âme et du corps parce que, suivant eux, l’âme ne pourrait agir sur le corps, si cette identité de principe n’établissait pas entre elle et lui un lien. L’argument d’Aristote reprenait alors sa valeur contre la pluralité des mondes.

En résumé, laissant de côté le problème de la pluralité puisque à cet égard l’Église s’était prononcée, l’école parisienne du xive siècle rejetait en majorité l’hypothèse, destinée à être reprise par Newton, qui assimilait le poids à une attraction exercée de loin par le centre de la Terre et elle le faisait en s’appuyant sur les conséquences qui seraient résultées logiquement de cette affirmation ; conclusions fort bien aperçues par elle et, en effet, exactes, mais qui semblaient impossibles parce qu’on n’avait pas su faire l’expérience : « Une pierre pèserait moins au haut des tours de Notre-Dame qu’au ras du sol ; un corps, en tombant du haut des tours, aurait une vitesse initiale plus faible que s’il tombait de la place dans un puits. »

La question en était là quand Léonard de Vinci fut amené à l’envisager en lisant les questions d’Albert de Helmstaedt « sur le ciel et sur la terre. » Cet Albert, qu’il ne faut pas confondre avec Albert le Grand, avait, un siècle et demi auparavant, vers 1350, formé, à la Sorbonne, un remarquable trio de philosophes avec Jean Buridan et Timon le Juif. Ses œuvres étaient parmi celles que le Vinci lisait le plus assidûment. Or, on y trouvait les propositions suivantes : « Tous les graves tendent dans leur chute vers un même point. Les divers élémens sont limités par des surfaces sphériques ayant ce point pour centre. » Avec son esprit de généralisation habituel, le Vinci se demanda aussitôt ce qui se passerait si, au lieu d’un seul centre, il y en avait deux dans deux mondes. Il se posa alors, sous une forme simplifiée, le problème mécanique résolu plus tard par Euler du mouvement que prendrait un point attiré à la fois vers deux centres fixes et, finalement, il conclut, contrairement à Aristote, mais avec Albert de Helmstaedt, que la pluralité des mondes était possible : ce qui aboutissait presque nécessairement à ne pas laisser la Terre au centre.