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alsaciennes-lorraines, ce n’est pas sans quelque tristesse que nous pouvons constater, en revanche, dans certains organes de l’entourage du Vatican, une lamentable tendance à accepter la thèse germanique de la force créatrice de droits : « Les paroles de Mgr Raess, dit le journal l’Unita cattolica, ont été mal reproduites. En effet, l’évêque de Strasbourg reconnaissait la légalité du traité de Francfort, mais il faisait des réserves sur sa légitimité… Il est certain que l’évêque de Strasbourg est très chagrin d’être, avec son peuple, séparé de la France, mais c’est la France elle-même qui a accepté cette séparation après une guerre injuste que l’empereur des Français avait déclarée à la Prusse[1]. »

Chez les Anglais, le sentiment qui domine à propos de ces incidens, c’est un sentiment de pitié quelque peu dédaigneuse envers ces pauvres gens qui ont si mal su défendre leur patrimoine et leur liberté. Quant à eux, Anglais, que leur importent ces querelles continentales ? Ils n’ont point à en connaître ni à s’en mêler ; ce n’est pas leur affaire, l’empire des mers leur suffit. Très justement tiers de l’intangible liberté britannique, ils se bornent à plaindre, en toute générosité de cœur, ces voisins sympathiques auxquels de pénibles circonstances interdisent de parler avec la même hauteur de ton qu’eux-mêmes : « En Angleterre, — écrit le Times, propos des comminatoires réclamations adressées par l’Allemagne au gouvernement français au sujet de certains mandemens d’évêques, et de la suppression, pour deux mois, du journal l’Univers, coupable d’avoir reproduit ces mandemens, — en Angleterre, nous considérerions comme audacieusement présomptueux tout gouvernement étranger qui viendrait demander au nôtre de désavouer les paroles et les écrits de personnes sur lesquelles il n’a aucun contrôle et dont il n’est nullement responsable. Mais nous devons admettre que la position de la France et de son gouvernement était assez exceptionnelle pour excuser un écart des habitudes ordinaires[2]. »

La menace allemande contre l’Europe, contre l’univers même, l’Angleterre, confiante en sa puissance insulaire et maritime, ne l’apercevait pas encore.

  1. Unita cattolica du 24 février, citée par le Journal des Débats, 26 février.
  2. Cité par le Temps, 27 février.