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du feld-maréchal de Moltke et de la motion du député Teutsch, puis elle affecte de railler dédaigneusement « la crainte superstitieuse » que les Russes ont du prétendu désir que l’Allemagne nourrit de s’annexer tôt ou tard les provinces de la Baltique… « La Russie, — remarque l’impitoyable Gazette, mettant bien, cette fois, le doigt sur la plaie — a-t-elle donc jamais rendu elle-même un lambeau des pays qu’elle a conquis, depuis les rivages glacés de la Finlande jusqu’à l’embouchure du Pruth ; un seul lambeau de cette ceinture d’annexions six fois plus grande que toute l’Allemagne ? Et supposons que la Russie soit un Empire constitutionnel, qu’on y convoque un parlement, sur quelles motions finnoises, polonaises, lithuaniennes, tartares et circassiennes ce parlement n’aura-t-il pas à voter ?… La nouvelle loi militaire de la Russie implique un effectif de 750 000 hommes, presque le double de celui de l’Allemagne d’après la nouvelle loi. La Russie construit sans cesse de nouveaux forts sur ses frontières du côté de l’Autriche et de l’Allemagne, organise tout son réseau de chemins de fer au point de vue stratégique, fixe la largeur de ses voies ferrées de façon qu’elles soient impraticables pour tout le matériel roulant de l’Allemagne. Eh bien ! l’Allemagne a-t-elle jamais considéré ces mesures de précaution comme une menace ? »

Généreuse indulgence ! L’Allemagne veut bien ne pas considérer comme une menace les mesures défensives prises par sa voisine ; combien le « Tu la troubles ! » de la fable serait ici de saison s’il ne s’agissait de deux loups ! De la Prusse à la Russie la réplique était en effet trop facile, et le martyre de la Pologne établissait, hélas ! entre elles la commune fraternité du crime.

La presse de Vienne montrait, — chose remarquable, — une. indépendance assez courageuse : le 22 février, la Tage Presse publie un article si vif contre les prétentions allemandes, que le journal français le XIXe Siècle, auquel son correspondant l’avait envoyé, déclare : « Nous l’avons lu avec une vive émotion, mais la prudence nous défend de le publier, quoiqu’il ait paru en Autriche. Nous ne sommes pas en Autriche[1]. »

A Rome, si les milieux de la jeune revendication nationale se montrent entièrement sympathiques aux protestations

  1. Le XIXe Siècle, 2 mars.