Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/227

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

advenement » organisèrent une fête somptueuse. Les sauvages étaient récemment à la mode. Les Rouennais s’avisèrent d’installer, dans une prairie, hors des murs, un village brésilien. Les pommiers de Normandie furent pourvus de « fruits de diverses couleurs » et eurent à représenter la flore des tropiques. Pour la faune, on trouva quelques oiseaux rares et « des guennonez, marmotes et sagouinz ; » mais la merveille, c’étaient « trois cens hommes tout nuds, hallez et hérissonnez : » des sauvages. Il parait que « l’œil du Roy fut joyeusement content ; » et l’œil de la Reine aussi. Les sauvages brésiliens s’étaient bâti des huttes, et travaillaient selon l’usage de leur lointain pays, et fumaient leurs pipes étranges. Sur le fleuve, se balançait un navire, où l’on voyait un bel équipage « vêtu de sautembarques et bragues de satin my-partis de blanc et de noir, autres de blanc et verd. » Et ce galant costume était une erreur gracieuse. Quant à ces trois cents hommes tout nus, les sauvages et le principal attrait de la fête, ils n’appartenaient pas tous à la même tribu : cinquante méritaient le nom de « naturels sauvages freschement apportez du pays ; » les autres, les deux cent cinquante autres, étaient bel et bien des matelots français « façonnez, habillez et équipez à la mode des sauvages d’Amérique, » — hélas ! — « mais, ayans fréquenté le pays, ils parlaient le langage et exprimaient si nayvement les gestes et façons de faire des sauvages comme si fussent natifs des mesmes pays. » Voilà les débuts de l’exotisme : et l’on y observe déjà ce mélange du vrai et du faux, qui est l’un de ses caractères et qu’il n’a point perdus. Il y a presque toujours, dans la peinture et dans la littérature exotiques, de la vérité, puis de l’imitation. C’est un art qui se prête à la supercherie. L’on ajoute, aux cinquante « naturels sauvages, » les deux cent cinquante figurans nécessaires que l’on n’a pu se procurer là-bas. Et l’on ajoute aussi, pour égayer un spectacle qui serait affreux, la caravelle où se joue un équipage habillé de satin. Chateaubriand ne s’est pas dispensé de ces coutumes : il a mis du salin dans le désert ; et, les sauvages qui lui manquaient, il les a pris au bout du compte où il les trouvait, chez Imlay, Charlevoix, Bartram et Carver.

Et, s’il se trompe, en quelques endroits, ce n’est pas sa faute, dit M. Chinard. S’il a « transporté sur les bords du Mississipi quelques plantes qui ne poussent qu’en Floride, comme le pistia stratiotes, » veuillez ne pas le lui reprocher : il n’avait pas vu le Mississipi ! Du moins a-t-il cherché ses documens « chez les auteurs qui, de son temps, faisaient autorité : » ces auteurs l’ont mal informé ? c’est à eux qu’il faut le reprocher. Ce que Chateaubriand n’avait pas vu, ce