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Boston et retour à New-York ; de New-York à Albany et au Niagara ; exploration des lacs du Canada ; du lac Erié à Pittsburg sur l’Ohio ; descente de l’Ohio et du Mississipi jusqu’aux Natchez ; exploration de la Louisiane et des Florides ; voyage vers le Nord par Nashville, Knoxville, Salem, Chillicothe ; voyage de Chillicothe à Philadelphie. Et puis on lit, au dernier chapitre du Voyage en Amérique : « Revenu à Philadelphie, je m’y embarquai. Une tempête me poussa en dix-neuf jours sur la côte de France, où je fis un demi-naufrage entre les îles de Guernesey et d’Aurigny. Je pris terre au Havre. Au mois de juillet de 1792, j’émigrai avec mon frère. » Après cela, nous sommes tentés de croire que Chateaubriand se promena en Amérique depuis le mois d’avril 1791 jusqu’au mois de juillet 1792. Or, en quinze mois, il avait, dit-on, le temps de parcourir les régions qu’il a si admirablement décrites. Mais il n’est pas resté quinze mois en Amérique.

La traversée de Saint-Malo à Baltimore fut très longue. M. Victor Giraud, à qui l’on doit de si remarquables études sur Chateaubriand, a retrouvé les mémoires d’un certain abbé de Mondésir, qui était à bord du Saint-Pierre et qui assure que la traversée dura cent quatre jours : il se trompe de onze jours. Mais le Saint-Pierre amenait à Baltimore les fondateurs d’un séminaire, où fut conservée la date de l’arrivée du Saint-Pierre : le 10 juillet. Et les quinze mois du séjour américain se réduisent à douze mois. Secondement, Chateaubriand n’est pas parti pour l’émigration au lendemain de sa rentrée en France, comme le donnerait à penser cette phrase, que je citais, du Voyage en Amérique. Avant de rejoindre l’armée des Princes, il hésita longtemps et même baguenauda. Il avait quitté Philadelphie le 10 décembre 1791 : ce n’est pas quinze mois, mais cinq mois très exactement, qu’il a passés en Amérique. Voilà ce dont s’aperçut M. Joseph Bédier, qui, dans ses Études critiques, pose la question de savoir ce qu’a pu faire Chateaubriand de la magnifique tournée dont il se vante.

Il n’a pas pu la faire toute, en cinq mois. Cependant, il allait vite. Plus tard, en Grèce, à l’époque où il découvrait d’un clin d’œil les ruines de Sparte, qui d’ailleurs étaient connues déjà, mais non de lui, un Italien du nom d’Avramiotti le rencontra et le vit à sa besogne d’explorateur et d’archéologue. Avramiotti lui parle d’Argos et des travaux de M. Fauvel. Il le conduit au château d’Argos et voudrait le convaincre d’examiner les pierres, les inscriptions ; Chateaubriand répond que « la nature ne l’a point fait pour ces études