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fils, depuis qu’a la mort de Nicolas Ier, il succéda au comte de Nesselrode. Un voile de tristesse, épais et lourd, pèse sur la solennité, comme si les invités portaient déjà le deuil de quelque chose qui va finir. On se montre le vieux chancelier, au déclin de l’âge et des succès, péniblement appuyé sur un meuble et presque délaissé au milieu de cette cour hier encore à ses pieds et qui semble étonnée de le voir pour la dernière fois. « Je veux disparaître comme un astre qui s’éteint, » avait-il dit un jour ; il semble que ce désir soit bien près d’être exaucé. Encore quelque temps et il aura disparu.

Quant à l’Empereur, enfermé dans ce palais où il n’est plus en sûreté, ses amis, les témoins de son avènement, confidens de ses espoirs et de ses anxiétés, s’affligent de le voir plus vieux que son âge et presque chancelant sous les coups qui l’ont frappé pendant son règne. Parfois cependant il se redresse, son visage s’éclaire comme si des pensées réconfortantes s’étaient soudainement éveillées en lui. C’est qu’il songe aux réformes qu’il prépare, à la constitution libérale dont, malgré tout, il n’a pas cessé de vouloir doter l’Empire.

Déjà, depuis un certain temps, il préludait à ces grands changemens en s’entourant de conseillers qui croyaient que l’heure était venue pour le pouvoir autocratique de se transformer prudemment, mais résolument. « La partie pensante de la nation, écrivait-on, suit leurs efforts avec une sympathie marquée, et commence à croire que, sous leur impulsion, le pays ne tardera pas à sortir de tutelle et que le moment approche où il lui sera permis de s’occuper peu à peu de ses affaires. » Au mois d’août, ces espérances commencent à se réaliser. Un ukase introduit des modifications importantes dans les hautes sphères administratives. A une époque antérieure, l’Empereur avait appelé au pouvoir, on l’a vu, et mis à la tête des services de police le général Loris Mélikoff, qu’il savait animé d’idées conformes aux siennes. Il le maintient dans ce poste avec des pouvoirs presque dictatoriaux, l’élève au sommet de La hiérarchie en le nommant ministre de l’Intérieur, et supprime la 3e section de la chancellerie, antre mystérieux et redoutable créé par Nicolas Ier, où depuis trop longtemps s’élaboraient les mesures les plus arbitraires et les plus révoltantes. Elle succombait, sous le poids des rancunes et des protestations populaires. Les journaux qui, deux ans