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administratives et les soumettre à des rigueurs illégales, voire à des mesures de répression touchant à la barbarie. Impressionné par sa parole et par les argumens auxquels elle a recouru, le jury prononce son acquittement.

Loin de calmer l’opinion, cette sentence libératrice lui imprime une excitation plus ardente qui se traduit de la part de la secte nihiliste par d’odieux forfaits. Ils se succèdent avec une rapidité foudroyante. Le 17 avril à Kiew, le recteur de l’Université est assailli dans sa demeure et laissé pour mort ; quelques jours plus tard, un officier de gendarmerie est poignardé dans la rue en plein jour. Le 15 août, à Saint-Pétersbourg, le général Wezentsef, chef de la 3e section de police, la plus impopulaire et la plus détestée, est l’objet d’un attentat analogue, après avoir été averti par une lettre anonyme qu’il était condamné. La décision prise par l’Empereur que désormais les délits politiques seraient justiciables des conseils de guerre ne ferme pas l’ère tragique qui vient de s’ouvrir. En 1875, au mois de février, le prince Krapotkine, gouverneur de Karkof, est frappé mortellement.

Le 7 mars, à Odessa, le colonel de gendarmerie Knopp est tué. Le 23, à Moscou, c’est un agent de la police impériale ; le 25, dans la capitale, le général Dreuteln ; le 5 avril, à Kief, le gouverneur comte Tcherkof ; le 10, à Arkhangel, le maître de police Pietrowski. Nous empruntons cette liste à la magistrale Histoire de Russie d’Alfred Rambaud, mais elle est probablement incomplète ; il y faut tout au moins ajouter le nom du général Loris Mélikoff, qui, l’année suivante, le 9 mars, sera l’objet d’une tentative d’assassinat au moment où il vient d’être mis à la tête des forces de la police. Ce n’est qu’à travers les procès intentés aux nihilistes que le bilan des attentats pourrait être établi.

Leurs auteurs appartiennent à toutes les classes sociales. Dans un de ces procès qui se déroule au mois de novembre 1880, figurent un médecin, un étudiant, fils de pope, six membres de la petite noblesse, quatre marchands, dont deux juifs et trois paysans. Quand on leur demande quelle est leur profession, l’un répond qu’il est athée, l’autre qu’il est socialiste révolutionnaire. Pour la plupart, ils ont été dénoncés par le meurtrier du prince Krapotkine. Ce meurtrier s’est pendu dans sa prison après avoir fait des aveux impitoyables pour ses