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chez vous ; nous souhaitons qu’il n’en soit rien et que votre gouvernement soit écouté et respecté. S’il en était autrement, ce serait un encouragement pour nos révolutionnaires qui ne s’appuient que sur ce qui est mauvais en Europe. »

Il semble que ce soit là une traduction fidèle des impressions du Tsar, impressions capricieuses, on ne saurait trop le répéter, et qui rendent plus vif, sous prétexte qu’il n’y a rien à faire avec la France, son désir de se rapprocher de l’Autriche et de l’Allemagne, afin d’éviter de rester isolé en Europe.


III

Durant la période du règne d’Alexandre II que nous avons essayé de décrire, la révolution n’avait pas cessé de se développer dans l’Empire et de révéler aux esprits attentifs la gravité des périls qu’elle faisait courir à l’état social. Tandis que le Tsar accuse le socialisme français d’exercer son influence en Russie, il semble ne pas se rendre compte que le nihilisme dont la Russie est le berceau constitue pour toutes les nations un exemple bien autrement contagieux. Au commencement de l’année 1878, le nihilisme, qui jusqu’alors paraissait n’être qu’une doctrine philosophique, était devenu un parti politique dont l’arme principale était l’assassinat et le but final la destruction de tout, avec la prétention de tout reconstruire d’après les principes anarchiques sur un terrain complètement rasé.

Le 5 février, à la suite d’un procès retentissant dans lequel figuraient cent cinquante accusés, l’un d’eux, condamné aux travaux forcés en Sibérie, attendait dans la prison de Saint-Pétersbourg le moment de son départ pour l’exil… Accusé d’avoir commis un acte d’indiscipline, il fut, sur l’ordre du général Trépof, gouverneur de la capitale, battu de verges, bien qu’en 1863, les punitions corporelles eussent été abolies. Une jeune fille, Vera Zassoulitch, antérieurement compromise dans l’un des innombrables complots que découvrait la police, s’irrite de cette atteinte à la loi ; elle demande une audience au général sous prétexte de lui présenter une requête ; en l’abordant, elle décharge sur lui un pistolet qu’elle tenait caché sous ses vêtemens. Traduite devant les tribunaux, elle attaque violemment pour sa défense l’iniquité du système qui dérobait les accusés à leurs juges naturels pour les frapper de mesures