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bourguignonne, Dijon seul, par bonheur, montre encore quelques restes. Ce sont les ruines d’une Chartreuse, que le duc Philippe le Hardi fit construire aux portes de la ville, au faubourg de Champmol, pour servir de sépulture et de sanctuaire aux princes de sa maison. Le soin du tombeau et le souci de la demeure éternelle ne sont sans doute pas aussi « païens » que l’auteur de la Philosophie de l’art reproche aux ducs de l’avoir été. L’église et le couvent sont détruits ; il n’en subsiste plus que deux ensembles de sculptures : ce sont les figures du portail et le soubassement du mystérieux Puits de Moïse, au centre de ce qui était le cloître, œuvre de deux Flamands, Jean de Marville et Claus Sluter ; — et ce sont les tombeaux des ducs, recueillis aujourd’hui au musée de Dijon, ouvrages de Claus de Werwe et de ses successeurs.

Tout a été dit sur ces ouvrages admirables, sur la vogue et le retentissement qu’ils eurent dans la sculpture. Peu d’œuvres eurent l’honneur d’être plus imitées et se prolongèrent pour ainsi dire en plus de répliques et d’échos. Toute la sculpture française, jusqu’au temps de Michel Colombe (et plus encore l’allemande), reproduira les formes de l’école bourguignonne. Le « souverain tailleur d’images, » comme Lemaire de Belges appelle encore Sluter, a introduit dans l’art un pathétique nouveau : il y a dans ses figures une grandeur de mélancolie, un accent tragique, on ne sait quoi d’âpre et de rugueux dans la forme, une manière de pétrir l’argile humaine pour en tirer des êtres d’un aspect grandiose et inconnu ; et autour de ces figures, des draperies plus vastes et d’une ampleur nouvelle, avec des saillies plus marquées et des ombres plus fortes, des enchevêtremens de plis sur les pieds et autour des membres, et toute une façon d’amplifier la forme en y ajoutant quelque chose d’oratoire et de lyrique. L’art du XVe siècle dans tout le Nord de l’Europe répétera à satiété ces écroulemens d’étoffes, ces remous et ces froissemens de houppelandes, sans comprendre toujours le sens de cette rhétorique et la force expressive d’un art qui savait faire dire à la draperie toute seule plus qu’on n’avait encore tiré du geste et de la figure. On reverra autour des tombeaux jusqu’à la fin du siècle ces processions de pleurans et leur pantomime de douleur noyée dans des cagoules, thème émouvant qui va se développant pour finir dans le sublime tombeau de Philippe Pot, au Louvre, où un maître