Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
L’ART FLAMAND ET LA FRANCE

De toutes les manœuvres d’opinion qui préludent à sa politique flamande, la plus curieuse est peut-être le mouvement tournant par lequel l’Allemagne essaye, depuis un siècle, de s’incorporer l’art flamand. Que n’a-t-elle pas tenté pour s’annexer ces grandes écoles de Bruges et d’Anvers, et pour en faire une manifestation du génie germanique ? L’Allemagne a toujours souffert d’être une artiste médiocre ; rien ne lui est plus pénible que son manque de talent. Être condamnée à imiter, vivre des miettes de la France, ce fut pour elle de tout temps la plus cuisante humiliation ; elle ne se console pas d’être une nation sans goût. Entre tant d’essais avortés dont témoigne son histoire, l’art flamand lui apparaissait comme une revanche heureuse de son propre génie. De toute la famille germanique, les Flamands étaient de beaucoup les mieux doués pour les arts : ils semblaient aux Allemands des frères qui avaient réussi. Par eux, l’Allemagne oubliait le chagrin de ses propres déceptions. Les musées les plus riches en ouvrages flamands sont ceux de l’Allemagne ; s’il suffisait de ces collections pour prouver quelque chose, l’Allemagne aurait là des titres artistiques. La première action de la Prusse après le traité de 1815 fut de s’emparer du retable de Gand. Le vénérable chef-d’œuvre d’Hubert et de Jean van Eyck, ramené de Paris dans les bagages de l’armée, se trouvait à Bruxelles entre les mains d’un brocanteur. Les Alliés d’alors s’empressèrent de le dépecer.