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s’attendait pas que, de la maladie, sortît jamais un bel avenir : il n’avait pas d’impatience.

Mais où l’on voit que sa critique littéraire dépend de sa philosophie générale, c’est à son idée, pour ainsi dire, épicurienne aussi de la littérature ; idée qu’il a souvent exprimée, en termes ravissans et persuasifs. Il ne veut pas que la littérature le tracasse ou l’ennuie ; il ne veut pas que la littérature oublie d’être ce qu’elle doit être, un divertissement et un jeu, un art. Il veut qu’elle embellisse l’existence ; il l’a veut belle. Et c’est la raison pour laquelle il condamne le naturalisme : « Tout l’effort immense des civilisations aboutit à l’embellissement de la vie. Le naturalisme est bien inhumain : car il défait ce travail de l’humanité entière. Il arrache les parures, il déchire les voiles ; il humilie la chair qui triomphait en se spiritualisant ; il nous ramène à la barbarie primitive, à la bestialité des cavernes et des cités lacustres. » Le réalisme d’un Zola, M. France le déteste ; et il adore l’idéalisme de George Sand, plus généralement l’idéalisme. La recherche de la vérité dans les arts et dans la littérature est un principe d’où l’on est parti, le plus souvent, pour de regrettables erreurs. En outre, M. France ne croit pas à la découverte possible de la vérité. Alors, dit-il, réjouissez-vous ; car vous devez à votre inévitable ignorance un précieux cadeau, la liberté : vous êtes libres d’imaginer le monde à votre guise. Aucune représentation de la réalité n’est la réalité, ni ne la donne : « Pourquoi ne pas rechercher et goûter de préférence les figures de grâce, de beauté et d’amour ? Songe pour songe, pourquoi ne pas choisir les plus aimables ? C’est ce que faisaient les Grecs. Ils adoraient la beauté ; la laideur, au contraire, leur semblait impie... » La beauté, dans la littérature, est surtout une qualité de la pensée. Et la pensée tient sa beauté des qualités qui rendent beaux les paysages, les horizons, le ciel : c’est la sérénité, c’est la clarté pure et limpide. Or, un tel idéal de pensée et d’art vient de l’antiquité grecque et, par l’intermédiaire de Rome, il s’est répandu dans l’univers. Il a fait jusqu’à nous un chemin périlleux parmi les barbares. Il n’a pas converti à sa douce religion tous les barbares, mais il a finalement échappé à leurs entreprises. Du reste, il est toujours menacé : il réclame de ses fidèles un soin constant. C’est le « génie latin : » goûtez-le et protégez-le.

Sous le titre du Génie latin, M. France a réuni quinze études qui vont du roman de Daphnis et Chloé au poète Albert Glatigny, en passant par la reine de Navarre, Paul Scarron, La Fontaine, Molière, Jean Racine, Alain-René Le Sage, l’abbé Prévost, Bernardin de