Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/927

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE LITTÉRAIRE

M. ANATOLE FRANCE, CRITIQUE LITTÉRAIRE [1]

Cependant, M. Anatole France a toujours refusé le nom de critique littéraire, à l’époque même où, chaque semaine, il publiait dans le Temps les chapitres de la Vie littéraire. La dédicace du premier tome au directeur du Temps marque de la surprise : « Comment un esprit alerte, agissant, répandu comme le vôtre, en communion constante avec tout et avec tous, si fort en possession de la vie et toujours jeté au milieu des choses, a-t-il pu prendre en gré une pensée recueillie, lente et solitaire comme la mienne ? » M. Hébrard n’avait pas cru mauvais de confier l’examen des livres nouveaux, ou anciens et qui faisaient leur réapparition soudaine, à M. France qu’il appelait « un bénédictin narquois. » Les bénédictins ont le goût des livres ; et, que celui-ci fût narquois, ce n’était pas pour offenser M. Hébrard, qui aimait à corriger ou voiler d’ironie une véritable ferveur. M. France, d’ailleurs, ne jure pas fidélité à la règle de Saint-Benoît et ne consent à l’obédience que dans une abbaye de Thélème où il promet plus de piété que de foi résolue. S’il vient de lire Mensonges, de son jeune ami M. Paul Bourget, il en éprouve un étrange plaisir : c’est que le livre « est désespérant d’un bout à l’autre. » Alors, il cherche la consolation et, dans l’Imitation de Jésus-Christ, découvre les paroles salutaires. Il en est enchanté, non satisfait : « Nous n’aimons pas qu’on nous sauve. Nous craignons, au contraire, qu’on nous prive de la volupté de nous perdre. Les meilleurs d’entre nous sont comme Rachel, qui ne voulait pas être consolée. » M. France n’a point analysé Mensonges ; il dit : « Je cause, et la causerie a ses hasards...» Il ne veut

  1. Le Génie latin, « nouvelle édition, revue par l’auteur » (Calmann-Lévy. Du même auteur, La Vie littéraire, quatre volumes (même éditeur).