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enlevé les deux premières positions allemandes. Il employa les jours suivans à s’y consolider. Pendant ce temps, que se passait-il au Sud de la rivière ?

L’attaque, des abords de Frise à ceux d’Estrées, fut lancée le 1er juillet, deux heures après celle de la rive droite, à neuf heures trente. Le travail d’artillerie avait été extraordinaire. La zone marmitée offrait vraiment, quand je l’ai vue au mois d’août, l’aspect d’un champ labouré, uniforme ; seulement, les sillons étaient larges comme des houles. Dompierre même apparaît, quand on vient de la sucrerie, après un tournant. On laisse à droite le vieux cimetière bouleversé et le champ des tombes neuves. Le village est un peu plus loin, à gauche de la route. Des restes de tranchées, des trous d’obus amollis et déjà voilés de limon, des débris de fils de fer. Puis des pans de murs en briques, où il est impossible de reconnaître la forme d’une maison, ni la configuration du village. Çà et là des squelettes d’arbres fruitiers. Au centre, au milieu de tous ces débris rougeâtres, un immense tas blanc, effondré, et comme préparé pour le cantonnier : l’église. Et partout rampant encore ou déjà, cette végétation des ruines, d’un vert intense, brillant et sombre, qui renaît si étrangement du sol dévasté, enveloppe le pied des murs et des talus, et fait un tapis vivant dans les bois morts.

Les troupes sortirent d’un élan magnifique ; c’était, comme nous l’avons vu, le 1er corps colonial ; et il était prolongé à droite (Sud) par une division de réservistes bretons. « Maintes fois dans cette guerre, dit la relation, ils avaient fait leurs preuves, et déjà ils s’étaient distingués à Quennevières à côté des zouaves, mais on aurait pu imaginer que ces hommes à l’allure calme, accoutumés certes à vivre sous des bombardemens constans et prêts à tous les sacrifices, n’auraient plus pour se transformer en vaillans rapides les moyens de la jeunesse. C’eût été ne pas connaître les ressources extraordinaires de leurs tempéramens... Ces vétérans ont marché comme les recrues de la classe 16. A neuf heures, ils ont fait demander à leurs chefs de partir en chantant la Marseillaise ; à neuf heures trente ils se sont élancés par sections alignées, comme à la manœuvre. »

Le soir du 1er juillet la première position allemande était enlevée, avec les villages de Dompierre, Becquincourt et Fay.