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1914 à février 1917, une équerre dont la pointe était à Noyon. La manœuvre des Français était d’enfoncer un flanc de l’équerre et de tomber ainsi sur les communications de l’autre. Déjà, en 1915, une série de tentatives avaient été faites pour rompre le côté droit ; l’objectif était alors de prendre ou de tourner le (>oint d’appui de Lens. En 1916, l’objectif fut reporté plus au Sud, sur la Somme. Mais l’idée était la même. Si on atteignait derrière l’ennemi la grande transversale Cambrai-Douai-Lille, tout son front s’écroulait. Or, la Somme formait un axe d’attaque menant à cette transversale.

Cette rivière allait, une fois de plus, jouer un rôle décisif dans l’histoire de la France. Le rôle historique de la Somme est double. Etendue comme une barrière Est-Ouest entre Saint-Quentin et la mer, un envahisseur qui descend du Nord sur Paris est obligé de la franchir. C’est, par exemple, ce qu’essaya de faire, en 1536, Henri de Nassau. Parti de Guise, il fit une feinte sur Saint-Quentin, et, tournant tout à coup à droite, vint se jeter sur Péronne ; la place, défendue par le maréchal de Fleuranges, résista. — En 1557, Philippe II, parti également de Guise, assiège Saint-Quentin, toujours dans le dessein de forcer la ligne de la Somme et de marcher sur Paris ; le connétable de Montmorency, qui vient de la Fère secourir la place, se fait battre. Mais Philippe II n’ose pas exploiter son succès et pousser de l’avant. Il veut avant tout prendre Saint-Quentin. La ville, défendue par Coligny, résiste dix-sept jours, et cette résistance donne au roi de France le temps de reconstituer son armée à Compiègne, et d’interdire la marche sur la capitale. — En 1594, c’est plus bas, à Amiens, que les Espagnols cherchent le passage : ils prennent la ville, que Henri IV reprend la même année et fortifie.

Si l’envahisseur venu du Nord, après avoir forcé la Somme et marché sur Paris, était contraint de reculer, il lui faudrait, dans sa retraite, repasser la rivière, cette fois du Sud au Nord, opération délicate. L’aventure est arrivée deux fois aux Anglais. En 1346, Edouard III, après être descendu jusqu’à Saint-Cloud, remonte en direction de Calais ; mais le roi de France l’a devancé sur la Somme, dont les passages sont gardés. Deux maréchaux du roi d’Angleterre passent une journée à côtoyer et tâter le fleuve, en cherchant un gué ; ils reviennent sans l’avoir trouvé, et la situation deviendrait