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ce remords de la dernière heure n’aurait rien eu que de naturel.

Pourtant, s’il a hésité quelque temps à se rendre aux sollicitations de l’Allemagne et de l’Autriche, ce n’est point un sentiment de cette nature qui l’aura retenu, — avec la crainte de prendre trop tôt les armes ! — mais le souci même de son intérêt bien compris. Il est trop perspicace pour n’avoir pas vu qu’il allait souscrire avec l’Empereur allemand un véritable contrat de vasselage, comme un prince des temps féodaux avec Othon Ier ou Barberousse. Adieu les rêves de grandeur indépendante et de suprématie sans contrôle sur les Balkans ! Adieu l’espoir de s’asseoir un jour sur le trône du Sultan, protégé intangible de l’Allemagne ! La Bulgarie acquerrait peut-être toute la Macédoine, elle recevrait une part importante des dépouilles de la Serbie, elle déroberait au crédule Constantin la meilleure partie des territoires conquis en 1913, mais elle serait noyée elle-même dans la formidable Mittel-Europa qu’on prépare à Berlin. Elle servirait de passage à l’expansion allemande, de couloir à la pénétration germanique, qui se répandrait abondamment par ce canal dans le proche Orient. La Bulgarie ne serait plus qu’un fief éloigné des Hohenzollern et partagerait ce déshonneur avec la Turquie.

Dans ce moment décisif, en septembre 1915, le Sobranié, toujours docile aux volontés royales sur le terrain de la politique extérieure, osa se montrer récalcitrant. Les adversaires de l’alliance allemande et d’une guerre nouvelle tentèrent auprès du Tsar une démarche, au cours de laquelle ils parlèrent pour la première fois avec une franchise audacieuse. Mal leur en prit ; ils furent rabroués d’importance. Les hommes politiques qui n’ont pas consenti à se faire, comme les ministres Radoslavof et Tontschef, les valets de ce maître intransigeant, sont, d’ailleurs, dépourvus eux-mêmes d’influence : M. Guéchof, à cause de son âge ; M. Ghénadief, en raison de sa versatilité et du discrédit dont il est l’objet ; M. Stamboulinski, du parti agraire, le porte-parole des opposans, vu la maladresse brutale de son langage. Seul, l’ancien président du Conseil, M. Malinof, patriote intègre, jouit de quelque considération auprès du prince, qui lui sait gré de son opposition digne et mesurée. En définitive, dans cette jeune monarchie démocratique, Ferdinand de Cobourg agit, décide, ordonne, avec une autorité plus incontestée qui celle de ses